Récit de Belvèze : 13 au 25 juillet 1855

J'arrivai à Québec par un temps assez mauvais, qui n'empêcha pas cependant une partie de la population de se porter sur les quais et sur les hauteurs de cette charmante ville.
La Capricieuse avait à peine mouillé que je reçus la visite du maire et des membres de la municipalité, et rien ne fut plus cordial que cette première entrevue où nous convînmes de tous les détails de la réception du lendemain.
Je ne connais guère que les bords de la rivière de Gênes, du Bosphore ou de la côte de Catalogne de l'E. de Barcelone, qui soient aussi gracieux que les bords du Saint-Laurent, des fermes et des villages semblables à ceux des plus belles parties de la Normandie se pressant presque sans interruption, et, dans le fond, la forêt couvrant d'une teinte d'un vert sombre les pentes régulièrement profilées de la montagne. Au mouillage de Québec on est entouré par un des plus splendides panoramas du monde.
Le 14 juillet, la municipalité me présenta l'adresse sur le môle, toute la population suivit le cortège, les rues étaient pavoisées de drapeaux tricolores, toutes les troupes sous les armes formaient la haie jusqu'à l'hôtel du gouvernement où sir Ed[mund] Head, gouverneur général, me reçut au milieu de toutes les autorités civiles et militaires.
Son Excellence me témoigna tout le plaisir que lui faisait la visite d'un navire de la flotte française, et mit dès ce moment à ma disposition tous les moyens de remplir ma mission : il voulut me faire visiter la citadelle; et le jour suivant, un grand dîner et un bal me mirent en rapport avec l'élite de la population de Québec. Ma seconde visite, le 14, fut pour l'archevêque catholique.
La corporation municipale, le comité de l'Exposition de Paris, le bureau du commerce voulurent se partager le plaisir de me faire visiter les environs, les travaux de l'aqueduc, les beaux villages de Beauport, Lorette (tous habités par des populations exclusivement françaises), les derniers Hurons, la chute de Montmorency, les Foulons (dépôts de bois de construction), et les chantiers.
Deux bals de souscription, l'un gigantesque, donné sur la terrasse Durham par la masse de la population, l'autre à l'hôtel Russell, par l'élite des citoyens, terminèrent cette série de fêtes : l'une des journées fut consacrée à la pose de la première pierre du monument élevé à la mémoire des morts des deux armées anglaise et française, en la seconde bataille des plaines d'Abraham, en 1760.
Pendant mon séjour à Québec, les maires et les corporations de Montréal, des Trois-Rivières et de plusieurs autres localités du haut Saint-Laurent se rendirent à bord, apportant les félicitations de ces villes et l'expression du désir de voir la corvette française remonter le fleuve : le même désir fut manifesté par des lettres des maires de Kingston et de Toronto.
Sir Ed[mund] Head, baronnet, gouverneur général de l'Amérique britannique, a remplacé depuis un an lord Elgin : ce dernier qui a gouverné pendant huit ans ces vastes provinces y a laissé les meilleurs effets de la constitution très-libérale qui régit le Canada, et fait succéder, à une hostilité sourde contre l'Angleterre, des sentiments de loyauté très-franchement professés même dans le bas Canada.
Sir Ed[mund] Head, antérieurement lieutenant gouverneur du Nouveau-Brunswick, est un homme de cabinet très-instruit, très-laborieux; ses relations ont toujours été parfaites, et, par son instruction très-étendue, même sur les beaux-arts, il savait donner à ses rapports fréquents avec moi un charme et un intérêt tout particuliers.
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