Une de La Minerve du 21 août 1856
Le récit-cadre que nous donnons au fil des pages du site est paru dans le journal La Minerve les jeudi 21 (vol. 28, no 115, p. 2), samedi 23 (vol. 28, no 116, p. 2) et mardi 26 août 1856 (vol. 28, no 117, p. 2). Le journal montréalais reprend de façon intégrale le rapport de Belvèze tel qu'il a d'abord été publié entre janvier et juin 1856 dans la Revue coloniale (deuxième série, tome XV, Paris, Imprimerie et librairie administratives de Paul Dupont, 1856, p. 7-23). Dans La Minerve, la transcription est précédée d'une introduction pittoresque qui raconte les circonstances entourant la transmission d'un exemplaire de la Revue coloniale par « [u]n ami du journal, récemment arrivé d'Europe », bienfaiteur anonyme que La Minerve décrit simplement comme l'« un des habitants les plus recommandables de Montréal ».
On y lit également une « gracieuse et obligeante » lettre du ministre de la Marine et des colonies françaises, une réponse du distingué courrier de La Minerve ainsi que les propos enthousiastes que Belvèze adresse au ministre de la Marine et des colonies, lesquels précèdent le récit de son expédition à proprement parler.
Nous avons choisi d'intervenir le moins possible dans le récit original de Belvèze et dans les autres documents d'époque qui sont cités, ayant plutôt opté pour le respect des conventions linguistiques et typographiques en vigueur au moment de leur parution. Nos ajouts sont entre crochets.
A bord du Véloce, Saint-Pierre*, le 17 juin 1855.
Mon bon ami,
Voulez-vous recevoir un souvenir de votre vieux camarade en ce moment exilé dans les régions hyperboréennes de la morue? Pendant que vous jouissez à Paris des fleurs et du soleil, moi je savoure ici les joies d'un hiver archi-brumeux accompagné de vents furibonds, etc. Tout cela donnerait à un homme un spleen mortel si on n'avait une foi déterminée. Ce n'est pas qu'il y ait un véritable intérêt dans les questions qui se débattent ici, mais ce qui sera surtout agréable ce sera d'aller expliquer la chose à Paris et d'aller aussi en deviser avec votre oncle, si curieux de toute choses; et je l'entretiendrai de nouveau, avec grand plaisir, sur la migration des poissons, les glaces du détroit de Behring et autres gracieusetés polaires.
[...]
Si j'étais comme vous un artiste actif et habile, je vous croquerais la Giralda, l'Alcazar et ses salles mauresques, les grandeurs de la cathédrale et les gentillesses sculpturales de l'hôtel-de-ville, etc.; mais vous savez que je ne suis qu'un flâneur et là comme partout je n'en vais les mains dans mes poches, le nez en l'air, regardant tout, mais laissant à la mémoire et à ma cervelle le soin de retenir la trace de mes odyssées; c'est parfaitement bête, j'en conviens, et si j'avais à recommencer je me mettrais à votre suite, et dussè-je ne faire que tailler vos crayons, j'apprendrais à employer utilement le temps de mes pérégrinations; je mourrai dans l'impénitence finale, un bon à rien obstiné, bon cependant à deviser de souvenir avec les gens de bonne volonté [...] quand il n'ont rien de mieux à faire que de m'écouter.
[...]
Je voudrais bien qu'elles [Madame de Waresquiel et Madame de Saint-Venant] voient comment se boutique l'huile de foie de morue pour se faire une idée de ce que cet affreux produit répand de miasmes fétides avant de passer par leur gosier.
Si, dans les grands établissements de la côte est, j'en trouve qui ne soit pas trop affreuse je ferai leur provision. Que je sois gardé d'avoir jamais besoin de cet abominable recorporatif, c'est ainsi que le docteur du lieu nomme cette invention. [...]
A travers les brumes de Terre-Neuve, je vois Paris comme le but et la fin de ma campagne, et quoique je ne sois plus assez jeune pour tenir cette capitale pour un paradis, j'estime que c'est là qu'on fait le mieux et le plus agréablement son tour du monde. Conservez-le moi donc beau, tranquille, joyeux, actif et que je puisse aller y passer en paix l'hiver prochain; cela fera trois hivers de suite. Mais si épaisse qu'elle soit, la brume de Paris me paraîtra moins froide, moins terne, moins morne que celle de ce détestable pays de morue.
Adieu, mon bon vieil ami, je vous serre la main cordialement et vous embrasse comme toujours de tout cœur.
* Île Saint-Pierre, dans l'archipel français de Saint-Pierre-et-Miquelon. |
LA MINERVE.
Jeudi matin, 21 août 1856.
Relations entre la France et le Canada
RAPPORT DE M. BELVEZE.
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Un ami du journal, récemment arrivé d'Europe, a eu l'obligeance de nous communiquer un exemplaire de la Revue Coloniale, de France, dans lequel se trouve un récit, par M. le capitaine Belvèze, de la visite qu'il est venu faire au Canada l'an dernier et de la réception si cordiale, si brillante qu'il y a partout reçue, ainsi que son appréciation de l'état où il a trouvé les deux provinces, prin[c]ipalement au point de vue des avantages qui résulteront des relations commerciale[s] projetées et déjà, il faut l'espérer, en voie de s'établir sérieusement. Quelques extraits reproduits d'un autre journal par la Minerve, il y a près d'un an, invitaient nos lecteurs à la connaissance d'une partie des utiles représentations faites au gouvernement français par le noble marin qui a su, de l'aveu de tous les partis, remplir sa mission au Canada de manière à mériter leur respect et leur approbation unanime. Le rapport, dont nous avons maintenant le plaisir de donner la première partie, est inséré au numéro de la Revue Coloniale de Janvier dernier, à la suite de deux autres rapports par le par le même déjà imprimés dans des numéros antérieurs de cette publication. Nous nous proposons de le reproduire en entier, persuadé que nos lecteurs nous sauront gré de notre empressement à leur en faire part; seulement, nous regrettons de ne l'avoir pas reçu plutôt [sic], mais nous apprenons que des deux seuls exemplaires que notre estimable ami a pu se pro[c]urer pendant qu'il était à Paris, l'un n'a pu, par suite sans doute de quelque méprise, parvenir à la presse canadienne à laquelle il le destinait, et l'autre, qu'il réserve religieusement pour sa bibliothèque, n'a pu nous être communiqué par lui-même que ces jours derniers. Cependant ce retard ne peut, aux yeux de nos lecteurs, affecter le mérite de l'œuvre de M. Belvèze, d'autant moins certes que la fin de la guerre en Orient et l'évanouissement des causes qui menaçaient les relations pacifiques de l'Amérique rendent plus opportunes l'étude et la poursuite des intérêts destinés à se développer sous l'influence de la paix qui règne aujourd'hui si heureusement. D'ailleurs cette œuvre possède une valeur inhérente qui la rendrait, dans tous les temps, on ne peut plus acceptable aux habitants du Canada et surtout à ceux dont la France est l'ancienne mère-patrie. Comme l'échange entre les journaux des deux pays est extrêmement borné et irrégulier, nous serions privé, même encore aujourd'hui, pour notre part, de l'avantage de posséder un seul exemplaire de la Revue Coloniale française, où sont consignés les comptes-rendus du Commandant de la Capricieuse, sans l'excellente idée qu'a eue notre compatriote, un des habitants les plus recommandables de Montréal, de profiter de son séjour à Paris pour se procurer le numéro qui contient le rapport que nous reproduisons et que lequel il n'est pas nécessaire d'appeler l'attention du public, tant il se recommande par lui-même. Notre concitoyen a des titres à la reconnaissance publique pour cet acte généreux de sa part, car ce n'est pas sans peine qu'il a pu l'accomplir. Ne pouvant nulle part acheter un exemplaire de la Revue Coloniale contenant le rapport de M. Belvèze, il se rendit chez l'éditeur de qui il apprit qu'elle n'était pas à vendre. Force lui fut de s'adresser directement au gouvernement français. Une lettre qu'il écrivit aussitôt au Ministre de la Marine et des Colonies lui valut la gracieuse et obligeante réponse qui suit :
Paris, le 30 janvier 1856.
MONSIEUR, - J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, le 28 de ce mois, et pour répondre à votre désir, je m'empresse de vous envoyer, ci-joints, deux exemplaires du numéro de janvier de la Revue Coloniale, qui contient, in extenso, le rapport de M. le capitaine de vaisseau Belvèze sur sa mission au Canada.
Ainsi que vous le verrez, par la lecture de ce rapport, M. le Commandant de la Capricieuse s'est fait un devoir de reconnaissance de rendre hommage aux sentiments de cordialité qui ont présidé à sa brillante réception par les autorités et les habitants des deux Canadas. Pour ma part, et comme ministre de la marine, j'ai dû être extrêmement touché de l'accueil si bienveillant fait à nos marins, et j'applaudirai aux bonnes relations qui s'établiront, je l'espère, d'une manière suivie, entre les deux pays et dans l'intérêt commun de leur prospérité commerciale.
Recevez, monsieur, l'assurance de ma par[f]aite considération.
L'amiral,
Ministre de la marine et des colonies,
Le solliciteur témoigna sa reconnaissance au ministre français dans les termes qui suivent et qui assurément expriment des sentiments que partageront bien cordialement tous nos compatriotes.
Paris, 30 janvier 1856.
Monsieur le Ministre,
« J'ai l'honneur de vous présenter mes remerci[e]men[t]s très-humbles pour le gracieux accueil que vous avez bien voulu faire à la demande que j'avais pris la liberté de vous adresser pour deux numéros de la Revue Coloniale, contenant le rapport de M. le Capt. de Belvèze sur son voyage au Canada l'année dernière. Je vous remercie surtout, Monsieur le Ministre, pour les sentimen[t]s qui vous animent envers le Canada et que vous avez eu la bienveillance d'exprimer dans la lettre dont vous m'honorez. On saura les apprécier au Canada, ainsi que l'expression si flatteuse que vous leur donnez et j'espère que vous ne regarderez pas comme une indiscrétion de ma part que je les y fasse connaître, ils recevront, soyez sûr M. le Ministre, un écho cordial et universel.
« J'ai l'honneur, M. le Ministre, de vous réitérer mes remerci[e]men[t]s et de vous prier d'agréer mes saluts respectueux. »
Voici maintenant le rapport d'ensemble dont il s'agit adress[é] par M. Belvèze à Son Excellence l'amiral ministre de la marine et des colonies.
Monsieur le ministre,
J'ai eu l'honneur de vous faire connaître, dans deux dépêches succinctes, mon arrivée en une partie de mon voyage à travers les deux provinces du Canada. Je réunis dans ce rapport tous les détails de la mission que j'ai remplie conformément aux ordres de Votre Excellence : je m'estimerai fort heureux, si le gouvernement de Sa Majesté Impériale juge que ses intentions ont été en tous points comprises et ses ordres exécutés.
Votre Excellence m'avait fait pressentir la nécessité d'apporter la plus grande prudence et une attention intelligente dans toutes les démarches à accomplir dans la délicate position où j'allais me trouver.
J'espère avoir été assez heureux pour ne quitter le Canada qu'en emportant l'estime et l'affection personnelle de tous, depuis le gouverneur-général jusqu'aux populations les plus énergiquement anglaises et protestantes. Partout on a manifesté devant moi l'expression du respect et de la confiance pour le gouvernement et la personne de l'Empereur et le désir de voir s'ouvrir une large voie commerciale entre la France et ce beau pays.
Rien n'est plus complexe à bien connaître et à bien accorder que les éléments très-divers qui composent la population, l'esprit, les tendances et les préjugés des deux Canadas; ma tâche m'a du reste été facilitée par l'accueil que j'ai trouvé ici de tous côtés.
J'ai été accompagné partout pendant tout mon voyage par M. Drummond, ministre de la justice : tout ce qu'on peu attendre d'un homme instruit, de bonne compagnie, d'un magistrat aussi intègre qu'il est savant et éloquent, je l'ai trouvé dans M. Drummond.
M. Baby, armateur des bâtiments à vapeur chargés du remorquage dans le fleuve, et qui reçoit pour cela du gouvernement canadien une subvention qui allége, sans les annuler, les charges du commerce, a remorqué la corvette la Capricieuse, du Bic à Québec et de Québec au Bic, avec le steamer l'Advance; il m'a conduit à Montréal avec ma suite, et il n'a jamais voulu stipuler aucune rémunération pour des services aussi coûteux.
J'ai dit et je répète que le succès de cette mission est un sujet d'étonnement pour tout le monde ici; le moment choisi par Votre Excellence était donc parfaitement opportun : il sera important que le commerce ne laisse pas oublier cet excellent résultat et qu'il se lance résol[u]ment dans cette voie nouvelle où il trouvera le placement de nos produits et leur échange contre les potasses, les bois, les salaisons, les blés et les farines, et plus tard les minerais de cuivre.
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