« Banquet de l'Institut-Canadien », La Minerve, vol. 27, no 127, 16 août 1855, p. 2 :
Près de deux cents convives assistaient, mardi soir, au banquet offert par l'Institut Canadien en l'honneur de M. de Belvèze. La grande salle à dîner de l'hôtel Donégana, magnifiquement décorée pour la circonstance, était à peine suffisante pour contenir à l'aise la nombreuse et respectable réunion qui prit part à cette brillante fête. Au nombre des objets d'ornementation disposés avec goût et une agréable profusion autour de la salle et sur les immenses tables dressées pour le banquet, il en est un qui mérite ici une mention spéciale et qui attira d'une manière particulière l'attention de tous les convives; c'était une jolie petite corvette en sucre modelée sur la Capricieuse, et exécutée avec une fidélité et un art qui attestent l'habileté de l'artiste dont elle était l'œuvre. Partout de frais érables, rangés artistement le long des murs déployaient le symbole de leurs feuilles et de chaque candelabre [sic], de chaque lustre pendaient de nombreux et de jolis petits drapeaux aux couleurs des deux grandes nations alliées. Vers huit heures et demie, M. de Belvèze fit son entrée et il fut conduit à la table où il prit place avec l'hon. M. Drummond à la droite de M. le président [P. R. Lafrenaye]. A la gauche se trouvaient M. le capitaine Gauthier et l'hon. M. Wilson.
Un dîner splendide, composés des mets et des vins les plus exquis et tout-à-fait digne de la circonstance, fut servi de manière à faire le plus grand honneur à la réputation déjà si bien établie de Mme St. Julien, propriétaire de l'hôtel. Ample justice faite à ce repas, et la nappe ayant été dûment enlevée, les santés dont suit le programme furent portées et il y fut répondu avec enthousiasme. La première fut portée par M. le Commandant :
1. La Reine.
2. L'Empereur des Français, - par M. le président.
3. Le Gouverneur-Général, - par le président du banquet, et il y fut répondu par M. Drummond.
4. M. de Belvèze et les Officiers de la Capricieuse, - par M. le président.
M. de Belvèze répondit à cette santé et proposa la suivante :
5. Le Président de l'Institut Canadien, - à laquelle M. Lafrenaye fit réponse.
6. Le succès de la Mission de M. de Belvèze en Canada, - par M. le président du banquet, et il y fut répondu par M. Robillard.
Les santés suivantes furent toutes proposées par le président :
7. La littérature, les Sciences et les Arts.
8. Les Armées alliées.
9. Les Dames.
MM. Papin et Morin répondirent aux deux dernières santés.
La musique de M. Lecomte assistait et fit entendre des airs appropriés aux sujets auxquels ils se rapportaient.
M. de Belvèze fit plusieurs discours et fut chaque fois applaudi avec enthousiasme. M. le chef d'état major Gauthier, appelé à répondre à la santé qui lui fut portée par M. Papin, le fit par une improvisation courte, mais brillante et caractérisée par les plus heureuses allusion. Aussi fut-il vivement et très cordialement applaudi.
Plusieurs santés particulières furent ensuite proposées, mais il nous est impossible, pour ce numéro, de les reproduire, non plus que les éloquents discours qui furent prononcés durant la soirée. Nous espérons pouvoir en faire part à nos lecteurs dans notre prochaine édition. Nous ne devons pas terminer sans rendre justice à M. Marsais, l'auteur des inspirations poétiques suivantes, qui appelé à répondre à une santé, chanta la jolie chanson qu'il avait composée exprès pour l'occasion [...] :
M. Marsais reçut les applaudissements qu'il méritait, et il était près de minuit lorsque M. de Belvèze et bon nombre des principaux convives jugèrent à propos de se retirer. D'autres prolongèrent encore les plaisirs de cette fête, qui se passa toute entière au milieu de plus grand ordre et de manière à laisser les souvenirs les plus agréables chez tous ceux qui purent y prendre part. |
« Banquet de l'Institut-Canadien en l'honneur de M. de Belvèze », La Minerve, vol. 27, no 128, 18 août 1855, p. 2 :
Pour compléter notre compte-rendu du dîner qui eut lieu jeudi soir, à l'hôtel Donegana, nous donnons aujourd'hui, conformément à notre promesse, un rapport abrégé des principaux discours qui furent prononcés dans cette circonstance. Deux ou trois de ces discours sont reproduits tout au long; pour les autres, le lecteur reconnaîtra facilement, par la rédaction, qu'ils ne sont que des résumés, ce qui est le cas surtout relativement aux discours prononcés par M. de Belvèze et M. Drummond.
Le président ayant proposé la première santé, celle à la Reine, M. de Belvèze reclama [sic] le privilège de la porter, ce qu'il fit en disant qu'il éprouvait beaucoup de plaisir à le faire, non-seulement [sic] parce que sous les auspices de son règne avait eut lieu l'heureuse alliance qui existe actuellement entre la Grande-Bretagne et la France, mais parce que durant ce règne des institutions libérales avaient été accordées au Canada, institutions qui rendaient le peuple de ce pays le plus libre de tous les autres peuples du continent et lui donnaient l'occasion de développer ses meilleures ressources. Il proposait donc : « A sa très gracieuse Majesté la Reine Victoria. »
A cette santé fut rendu tout honneur et la musique fit entendre God save the Queen.
Le président ayant proposé la deuxième santé, celle à l'Empereur des Français, elle fut reçue avec enthousiasme, et on y répondit en rendant tout honneur au souverain de la France. La musique fit entendre l'air national Partant pour la Syrie.
A la santé : au Gouverneur Général [Edmund Head], qui reçut aussi les honneurs d'usage, la musique exécuta
Anonyme, « Vive la Canadienne », harmonisation par Amédée Tremblay (1876-1949), Montréal, His Master's Voice (XX-0019), 1920. Interprétation de Joseph Saucier (1869-1941), baryton.
L'hon. procureur-général M. Drummond, appelé avec enthousiasme à répondre à cette santé se leva et dit en substance :
Tout le monde ne répond pas d'ordinaire à cette santé, mais il ne peut se refuser à la demande d'une assemblée aussi nombreuse et respectable. La position du personnage auquel s'adresse cette santé, est généralement regardée si élevée qu'aucun sujet n'a le droit de s'arroger la mission d'y répondre; cependant il ne peut refuser; il dit entre autres choses qu'il n'a aucune raison de croire qu'il se trouve en Canada a un homme qui ait, plus que le gouverneur-général, le désir de voir la mission de M. de Belvèze réussir.
Le Président proposa ensuite la santé de M. de Belvèze et les officiers de La Capricieuse. Il dit que la visite au Canada de M. de Belvèze est une preuve que la France n'a point oublié ses enfans [sic] de ce côté de l'Atlantique, surtout ses enfants qui habitent les rives du St. Laurent et qui, à travers la lutte, ont conservé leur nationalité, et leur amour pour l'ancienne mère-patrie. La réception faite au Commandant prouve qu'il n'a point mal jugé des sentiments du Canada. Ils sont fiers d'offrir l'hospitalité à un représentant de la patrie de leurs ancêtres.
Il ne peut terminer sans exprimer le regret de ne point pouvoir fêter les officiers absents qui ont été rappelés à leurs postes. Mais il espère que les officiers de marine qui ont visité le Canada auront été assez bien reçus et leur mission aura été assez profitable pour leur faire emporter d'agréables souvenirs de leur courte visite.
Cette santé fut reçue et bue avec enthousiasme.
M. de Belvèze se leva et dit que ce n'était pas à lui, vieux marin, d'essayer de faire des discours au milieu de tant d'hommes possédant le don de l'éloquence, surtout en présence d'un ministre de la couronne qui venait d'offrir une preuve nouvelle de cette grande éloquence que tout le monde lui reconnaît. Cependant, il ne pouvait point s'empêcher de remercier l'Institut et les convives pour l'accueil gracieux qui lui était fait. Il était plus spécialement flatté de la manifestation bienveillante à l'égard de la France dont il avait été témoin, et il pouvait les assurer qu'il existait réciprocité de sentimens [sic]. Il s'empressait de faire observer quels grands avantages découleraient d'une semblable institution. Trois choses surtout constituent la nationalité, - les mœurs, la langue et la religion. Si une politique violente tentait jamais de renverser l'une de ces choses chez les Canadiens-Français, ceux-ci repousseront l'assaut, et l'Institut-Canadien sera le meilleur conservateur de leur langue, et par celle-ci, de leur nationalité. C'est en conservant cet élément surtout qu'avec une civilisation matérielle qui les avoisine, cherchant à les envahir et menaçant de renverser ce qu'ils ont de plus cher, ils pourront espérer maintenir leur existence nationale. Avec les ressources de leur pays, ils ont une belle destinée devant eux; ils peuvent espérer par le travail encouragé par leur institut atteindre un haut degré dans la littérature et les beaux-arts. Et lorsque quelque grande pièce d'art exécutée par un Canadien, sera montrée en France, ils peuvent être assurés que les Français la verront d'un œil orgueilleux comme production des descendants de leur propre race, dont le génie a été transplanté sur ces rives lointaines.
M. de Belvèze s'assit ensuite au milieu d'applaudissements vifs et prolongés, puis se leva de nouveau pour proposer la santé de l'Institut-Canadien et de son Président. M. Lafrenaye répondit dans les termes suivants :
En me levant pour répondre de la part de l'Institut-Canadien à la santé qui [vient] de lui être portée par M. le Commandant de Belvèze, ainsi qu'aux beaux sentiments qu'il vient d'exprimer si gracieusement à l'égard de cette institution et de notre société canadienne, je dois réclamer toute votre indulgence, d'autant plus qu'en aucune autre circonstance il ne m'appartiendrait de présider un tel banquet composé de l'élite de la société canadienne accourue de toutes parts pour fêter dignement le représentant officiel de la France.
Mais, Messieurs, c'est que ce banquet donné par l'Institut-Canadien est destiné a [sic] vous rappeler qu'au[-]dessus de la réalité par fois désolante, il existe une vie intellectuelle et morale dont les délices et les extases nous ravissent et nous transportent bien loin dans les régions supérieures de la pensée pour nous réunir tous dans ces moments suprêmes et faire battre nos cœurs à l'unisson.
C'est que ce banquet fraternel, indépendamment de toutes ces bonnes choses que vous avez vu répandues à profusion sur ces tables, est destiné à nous nourrir du pain de l'intelligence sans lequel les peuples se traînent dans l'ornière des préjugés et des fausses traditions.
C'est que dans ce banquet, nous fêtons la France dans la personne de son représentant et que nous la fêtons dans sa langue si gracieuse et si vive, qui est devenue universelle par sa beauté et qui reste encore l'idiôme [sic] de la diplomatie et des cabinets européens.
L'Institut-Canadien dont l'unique objet est de cultiver les lettres et les sciences, et de répandre le goût des beaux-arts parmi la population canadienne, éprouve en ce moment un orgueil bien légitime de pouvoir fêter aussi publiquement qu'il lui est possible, le représentant de cette nation savante et artistique qui a développé avec le plus grand succès, dans les temps modernes, cette vie intellectuelle qui plane si haut au dessus de la vie matérielle, de cette nation, qui par ses corps savants et ses hommes de génie, éclaire constamment le sentier de la civilisation.
Récemment, sur la terre de nos aïeux, à la voix de l'un de nos compatriotes et de nos littérateurs les plus distingués [Joseph Guillaume Barthe], l'on s'est ressouvenu de ces frères exilés en Amérique, comme nous appelait M. De Lamartine [Alphonse de Lamartine], et la munificence avec laquelle la France nous a dispensé ses faveurs nous impose la douce obligation de lui exprimer en tous lieux notre admiration et notre reconnaissance a son égard.
Ces statues, obtenues par l'entremise et d'après le choix personnel de M. Barthe un de nos membres, qui doivent nous arriver sous peu de jours, en partie aux frais du gouvernement impérial, et qui sont quatre chef-d'œuvres du Musée Impérial du Louvre : la Vénus de Milo, l'Apollon du Belvédère, la Nymphe de Fontainebleau et enfin le Laocoon du Vatican dans lequel l'excès de la douleur se trouve matérialisé, témoignent hautement de la générosité princière de la France envers son ancienne colonie. Naguère encore, messieurs, beaucoup d'objets nous rattachaient à la France par des souvenirs; désormais tous ces dons qui nous ont été faits, et qui nous arrivent constamment de France, nous y rattacheront par les deux liens de l'amitié et de la gratitude.
Ces statues avec le grand candélabre de la Salle du Conseil formeront un centre d'attraction unique en Canada et signaleront notre institution comme le véritable Institut des Canadas.
Notre population dont l'aptitude aux arts est si grande et si bien constatée par nos expositions récentes, trouvera dorénavant un nouvel élan à s'adonner à son inclination naturelle à la vue de ces objets d'art, le fruit de plusieurs siècles.
Dans ce siècle où les idées seules peuvent conquérir le monde; où les notions saines et justes tendent à s'universaliser parmi les hommes, et où la liberté du commerce a rendu les fleuves aussi libres que la mer, la volonté de l'homme doit être dirigée par l'association ramifiée à l'infinie dans les voies utiles et honorables.
Il y a longtemps que la volonté de l'homme a conquis les éléments, comme peut très bien nous l'attester M. le Commandant qui a dû voir bien des tempêtes passer au-dessus de sa tête depuis qu'il a l'honneur d'arborer le drapeau de la France sur la vaste étendue de l'océan. En Amérique, la volonté secondée par l'instruction ne connaît plus de limites, car son empire est appelé à s'exercer sur tout un continent dont les ressources sont à peine connues.
En vue de toutes ces circonstances, l'Institut-Canadien toujours fidèle à sa mission, qui dès son début a été de populariser les sciences et de promouvoir le libéralisme dans les idées par la culture des lettres et des beaux-arts, aspirant sans cesse à de meilleures destinées pour la patrie, s'efforce de relier ensemble tous ces fragments d'une nationalité dont les éléments sont si forts et si vivaces.
Dans le cercle de ses attributions, l'Institut s'est toujours efforcé de diriger noblement les aspirations du jeune homme et s'astreindre chaque citoyen à utiliser une partie de ses travaux et de ses veilles au profil de ses compatriotes. Car, sans la science et les arts, un peuple deviendrait inanimé et léthargique, de même qu'il en arriverait de l'humanité, sans la chaleur et la lumière.
Le Canada a encore tout son avenir devant lui; sachons donc le lui bien préparer par le travail et la concorde qui est la devise de l'Institut-Canadien.
Lorsque le Canada aura pris son rang parmi les nations de l'Amérique, il aura le plaisir de pouvoir se rappeler d'avoir été doté de magnifiques avantages par les deux plus grandes puissances européennes, de ce qui leur abondait le plus : par l'une, de son régime constitutionnel et municipal, et par l'autre, de ses richesses artistiques et littéraires et le culte des beaux-arts.
M. Robillard, répondant à la santé : « Au succès de la mission de M. de Belvèze en Canada, » et qui fut reçue avec enthousiasme, s'exprima comme suit :
Répondre à la santé qui se rattache le plus étroitement à votre mission et à votre personne est un honneur que j'apprécie beaucoup mais dont je me sais incapable de porter la responsabilité dans cette circonstance, M. le Président a bien voulu réclamer la bienveillance de l'auditoire en ma faveur et vous dire, qu'invité très tard dans la journée pour répondre à cette santé, je me présente à vous sans autre préparation que celle des inspirations que j'attends de votre générosité envers moi, sans autre chance de succès que celle que je devrai à votre bienveillance.
Je vois autour de moi plusieurs convives dont les talents oratoires eussent brillé du plus bel éclat dans cette circonstance, des convives qui, par leur belle profession, tiennent à l'héritage des Ciceron [sic] et des Démosthènes [sic]; à eux seuls appartient le domaine de l'improvision [sic], terrain glorieux, il est vrai, et sur lequel ont été constaté les plus belles victoires de l'éloquence par les acclamations bruyantes de la route, mais aussi terrain de la mort où les espérances les plus légitimes, où les noms les plus dignes de sympathie, sont tombés sous le déplaisir d'un public resté froid dans son verdict irrévocable.
Monter à l'assaut de son propre mouvement, c'est vouloir ou succomber glorieusement ou mériter sa part de la victoire; mais quand un convive est soudainement enlevé aux plaisirs sans soucis d'un dîner public, pour être poussé malgré lui sur la barricade de l'improvisation, sa position devient extrêmement difficile, le premier sifflet (qui, le plus souvent, est celui du convive le moins marquant de la réunion,) ce sifflet, dis-je, aussi dangereux que celui de la balle, peut venir atteindre celui qui parle et lui faire perdre l'iquilibre [sic] de ses idées.
Votre mission, M. le Commandant, a le double cachet d'une diplomatie éclairée et d'une popularité indubitable. La France veut lire à l'avance dans les pages de l'histoire, et de la grandeur futures du Canada. Nous avons tous saisi cette pensée grandiose et pleine d'avenir de votre gouvernement. Le peuple aussi a compris l'importance de votre belle mission, et voilà pourquoi, toute la ville de Québec et ses environs, qui devaient vous saluer les premières [sic] ont tressailli d'une joie presque frénétique à la vue du pavillon de la France, ce drapeau qui, dans ses plis, porte tant de gloire, tant d'honneur, l'histoire de tant de héros.
Le peuple du Canada a vu dans le beau navire que vous commandez, un des représentants de cette belle flotte qui, en ce moment, couvre de ses ailes le faible contre le fort. Nous avons vu dans les canons qui, à vos ordres, gardent le silence de la paix et de l'amitié, les frères de ces bouches de feu qui, au moment même où je vous parle, font trembler Sébastopol et ses environs.
Oui, monsieur le Commandant, votre mission si pleine du présent et de l'avenir a été chaleureusement appréciée en Canada. Le peuple est partout accouru sur votre passage, pour vous saluer des acclamations de son cœur. Le citoyen de nos villes plus favorisé par la fortune, par l'éducation, par l'aptitude d'apprécier vos hautes qualités personnelles et celle des officiers de votre suite, ont été heureux, orgueilleux de vous offrir l'intimité de leur affection, l'hospitalité de leur table et de leur maison. Il est d'usage chez tous les peuples de recevoir au milieu de grandes démonstrations civiques, les envoyés des puissances amies. Ces réceptions, cependant, n'étant guères que des visites de gouvernement à gouvernement, le peuple comme le bourgeois n'y assistent généralement qu'à titre de spectateurs; il n'en n'a pas été ainsi de votre visite parmi nous; l'enfant, l'homme mûr, le vieillard, le peuple, le citoyen, le clergé, tous ont voulu vous saluer du plus près possible et vous donner la main de la bienvenue. Sous le rapport topographique et commercial vous avez visité personnellement et vu de vos yeux les dons grandioses que la nature a faits au Canada. Vous y avez vu les océans de l'intérieur de notre continent, vous y avez vu nos rivières immenses qui ne cherchent qu'à porter avec orgueil les richesses entassées sur leurs rivages. Vous avez vu notre majestueux St. Laurent, l'admiration de tous les voyageurs. Vous avez vu de vos yeux les conquêtes d'un travail d'Hercules pour surmonter les caprices grandioses d'une nature altière qui, jusqu'à nos jours, avait arrêté le navigateur au pied du « Mont réal. » Vous avez vu ces grandes créations de Dieu et des hommes, et votre gouvernement comme vos concitoyens et vos frères d'armes seront étonnés de vos récits.
Nous ne pouvons guère vous offrir que les produits vigoureux et abondants d'une nature primitive. Nos navires remontent jusqu'aux immenses greniers de l'Ouest et de là ils reviennent encore une fois saluer nos villes de Montréal et de Québec pour ensuite hisser leurs voiles une dernière fois et chargés de richesses porter le pain de l'existence, ou des constructions de terre et de mer jusque chez les peuples les plus éloignés de nous.
Si, d'un côté, nous vous offrons les chênes de nos forêts, les céréales de nos champs, les métaux de nos mines, de l'autre, vous placez sous nos yeux les chef-d'œuvres des beaux arts, les progrès de la science, les résultats enfin de la civilisation la plus avancée.
C'est à la France que le citoyen aisé doit les tentures, les glaces et les objets les plus précieux de ses salons; c'est à la France qu'il doit les délicatesses de sa table et les vins les plus riches de son caveau. C'est aussi à la France que la belle du Canada, doit les couleurs et les formes agaçantes de sa toilette, les succès de son piano, les chants suaves et sympathiques des poètes et des compositeurs qu'elle admire le plus. La Providence en portant au nord de l'Amérique, un noyau de population française n'a pas cherché à interrompre ou paralyser les lois de sa consanguinité, et à changer le caractère et les habitudes du peuple qu'elle allait porter si loin de son berceau.
La France nous a laissez [sic] Français lors de ses derniers et bien pénibles adieux, elle nous retrouve encore Français après de bien longues années d'absence. Le contact avec les étrangers, l'intérêt et quelques autres causes ont pu enlever à quelques citoyens de nos villes leur identité primitive et leur faire perdre l'empreinte et le cachet de l'ancienne mère-patrie, mais le peuple proprement dit, le peuple de nos campagnes a emphatiquement conservé son caractère français. L'héritage de la consanguinité est le seul qu'on ne puisse enlever par la force ni aux individus ni aux populations. Lors donc de votre retour auprès de votre gouvernement et au milieu de vos compatriotes, soyez notre messager auprès d'eux; dites-leur que votre mission a trouvé tous les matériaux d'une succès rapide et permanent; dites-leur que vous avez trouvé une population qui porte avec dignité son nom de Canadien-Français, et avec amour le noble sang de ses ancêtres, et que tout le Canada a tressailli de joie, en voyant la France se souvenir de lui et venir le visiter aujourd'hui par la personne des nobles gardiens de sa gloire.
M. Papin dit en répondant à la santé :
« Aux Armées alliées, » accueillie aussi avec enthousiasme :
Je ne suis pas surpris de l'enthousiasme qui a accueilli cette santé, car boire aux armées alliées, c'est boire au soldat de France et d'Angleterre. Or qui n'aurait pas de sympathie pour le soldat qui laisse le foyer domestique, les joies de la famille et la paix dont il jouissait en commun avec le reste de l'univers, pour aller soutenir de son bras l'honneur des deux plus grandes nations du monde? Qui n'aurait pas de sympathie pour le soldat qui va combattre en Orient pour mettre un frein à l'ambition du despotisme et des limites à ses empiétations [sic]? Qui n'aurait pas de sympathie pour le soldat qui supporte avec tant de courage et de persévérance les peines et les fatigues d'une guerre longue et difficile? Et qui surtout n'aurait pas de sympathies profondes pour le soldat mourant loin de sa patrie et versant noblement son sang sur le champ de bataille? Qui n'aurait pas une larme à verser sur la tombe de tant de héros qui, en mourant, se sont acquis une gloire immortelle dont eux-mêmes ne pourront jouir, mais dont la postérité, je n'en ai aucun doute, saura leur tenir compte. Espérons que ce sang noble et généreux n'aura pas été versé en pure perte, mais qu'il deviendra une semence féconde en heureux résultats pour la liberté et la civilisation des peuples. Espérons que les armées alliées revenant triomphantes, rapportant à la France et à l'Angleterre la gloire et l'honneur, au monde entier la paix et la prospérité qui en découle, rapporteront en même temps aux peuples qui n'en ont pas assez, la liberté et l'indépendance.
M. Morin répondant à la santé portée aux Dames, dit :
C'est avec un vif sentiment de plaisir que, sur votre bienveillant appel, je me lève pour répondre à la santé qui vient d'être portée aux Dames. Au milieu des réjouissances de ce splendide banquet, éveiller le souvenir de la femme, c'est combler ce vide que son absence laisse toujours au cœur, au sein même des jouissances les plus complètes. Cette femme dont nous portons la santé et dont nous sommes tous de si dévoués adorateurs, n'est pas là, suivant de son doux regard le tourbillonnement de la fête, comme elle aimait à suivre, des fenêtres de son château, les preux chevaliers de la patrie de nos ancêtres dans les jeux du tournoi; mais son image est si vivement imprimée dans la mémoire de nos cœurs, sa beauté, ses mérites tellement éclatants que son nom seul tombé des lèvres tient lieu de tout autre plaisir, fait battre des mains, et résonner les voûtes de cette salle de vos enthousiastes applaudissements. Permettez-moi de vous remercier en son nom de l'idée généreuse, de l'attention si délicate que vous venez de porter à la plus belle moitié du genre humain, dans cette occasion pleine de solemnité [sic]. Sans doute qu'elle sera sensible à ce témoignage si vif de votre estime et de votre admiration. Elle apprendra qu'elle a sa large part dans nos amusemens [sic], et ses trésors de bonté n'en seront que plus facilement assurés. Qu'elle sache que l'enthousiasme naturel créé par l'entrée pacifique dans nos ports d'une corvette portant les couleurs de notre ancienne mère-patrie, n'a pas diminué notre enthousiasme pour elle.
Vous avez voulu, en portant cette santé et en la recevant avec tant de chaleur, que M. le Commandant de la Capricieuse, en repassant les mers, puisse dire au sexe si aimable du beau pays de France, à ce sexe sur lequel toutes les femmes de l'univers aiment à se modeler et auquel nos Canadiennes surtout empruntent si bien ses grâces et ses vertus solides, que « Dieu, les Dames et la Patrie » ont, de ce côté-ci de l'Atlantique, un peuple de fervens [sic] adorateurs. Votre attente ne sera pas déçue : le souvenir de votre enthousiasme en ce moment restera profondément gravé dans l'âme et le noble cœur de notre hôte distingué, et il apprécie trop bien sa mission pour ne pas remplir celle-là auprès de notre sœur de son pays. Qu'il dise à la France que la femme canadienne est fidèle aux traditions de la mère-patrie, qu'elle est entourée d'un respect religieux par notre sexe, que le sang français coule encore limpide et pur dans ses veines : c'est rendre hommage à la vérité et à la sincérité de nos sentimens [sic].
Je suis heureux et fier d'avoir été choisi dans cette grande occasion pour exprimer au noble marin que nous avons l'honneur de recevoir ici, combien est grand le dévouement et sincère notre admiration pour la femme de notre pays; combien nous savons apprécier la puissante influence qu'elle a eu sur la conservation de notre nationalité et de nos précieuses habitudes françaises. Puisse cette bienfaisante influence se conserver et s'étendre plus puissante de jour en jour sur la jeune génération. Puissent tous les Canadiens, jaloux de l'approbation de leurs belles compatriotes, lutter d'ardeur et d'émulation pour les nobles actions, pour le soutien et l'amélioration de toutes nos institutions. Puissions-nous tous enfin nous rendre dignes des éloges de la femme en remplissant dignement tous nos devoirs de bons citoyens.
Avant de laisser ce sujet plein de charmes, qu'il me soit permis d'exprimer un désir : c'est que dans nos luttes pour le progrès de notre patrie, nous nous souvenions des bontés du cœur de la femme, de son sourire aimable qui modèrera l'amertume des adversaires et nous apprendra a combattre en frères dans la lutte du bien, et le succès et la prospérité de notre beau pays. Autrefois les hommes d'Albe et de Rome se trouvaient engagés dans un combat qui menaçait d'une extermination complète ces deux peuples rivaux. Les femmes accoururent sur le champ de bataille, firent tomber les armes des mains des combattants, et d'ennemis jurés, ils devinrent un peuple de frères. C'est ainsi que s'inaugura la grandeur de Rome et du monde. L'ennemi n'est pas à nos portes, mais la tolérance et l'union qui doivent exister parmi nous ne sont pas complètes.
Puisse cette santé que nous portons ensemble à la femme, faire passer dans nos cœurs un peu de sa bienveillance et de sa douceur. En partageant cette vertu avec nous, nous la ferons jouir d'un avenir qu'il sera facile de rendre plus prospère par notre union.
M. Marsais chanta ensuite la jolie chanson que nous avons reproduite dans notre dernier numéro [La Minerve, vol. 27, no 127, jeudi 16 août 1855, p. 2.]
M. Papin ayant proposé la santé de M. le capitaine Gauthier, -
Ce monsieur témoigna avec un bonheur d'expression remarquable, toute la reconnaissance qu'il éprouvait pour l'honneur qui lui était ainsi rendu. Il dit en substance, que si M. le Commandant de Belvèze et lui se trouvaient aujourd'hui en Canada au lieu d'être, comme ils l'avaient désiré, dans la Crimée, c'était cependant pour remplir leur devoir selon les ordres de l'Empereur. Il espérait que ce devoir serait rempli de manière à resserrer les liens d'amitié entre la France et le Canada, et que ce résultat, s'il était atteint, serait toujours pour lui une bonne raison de se féliciter d'avoir fait partie de l'expédition.
Vers minuit, M. de Belvèze et son lieutenant quittèrent la salle. M. Drummond ayant été prié de prendre le fauteuil présidentiel se rendit aux désirs des convives au milieu d'applaudissements prolongés. Après quoi, M. Papin proposa la santé du nouveau président et il y fut répondu avec enthousiasme.
M. Drummond fit ses remerciements et prononça avec ce talent oratoire que toute le monde lui connaît, une courte et brillante allocution. Plusieurs santés particulières furent ensuite portés et entre autres celle-ci proposée par M. Coursol : « Aux amis de la campagne qui sont présents. » M. le Dr. Cartier, de Vaudreuil, invité à répondre à cette santé, se rendit à cet appel et fit un discours plein d'à-propos et qui provoqua de vifs applaudissements.
La longueur du rapport qui précède nous empêche de rendre compte des autres santés volontaires qui furent portées et auxquelles il fut répondu avec convenance et bonheur. Cette brillante soirée fut une véritable fête pour tous les assistants, et chacun se retira enchanté des agréables moments ainsi passés en compagnie du représentant de la belle et glorieuse France. |
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