« Réception de M. le Commandant de Belvèze au conseil de ville [de Montréal] », La Minerve, vol. 27, no 120, 31 juillet 1855, p. 2 :
M. le maire et MM. du conseil de ville se rendirent, samedi, durant la matinée, à l'hôtel St. Laurent pour présenter leurs hommages à M. de Belvèze.
Conformément aux mesures prises la veille, M. le Commandant accompagné par les officiers de sa suite, se rendit, escorté par les membres du corps municipal, M. le maire en tête, à l'Hôtel de Ville où les attendait une nombreuse réunion des citoyens de Montréal les plus considérables, de tous les rangs et de toutes les origines.
M. de Belvèze et ses officiers furent conduits par les conseillers municipaux, par les membres du bureau de commerce et plusieurs des principaux citoyens de Montréal, aux sièges qui leur étaient réservés dans la grande salle des concerts.
Après quoi, M. le maire présenta l'adresse suivante, rédigée en français :
Monsieur,
Votre arrivée parmi nous a comblé de joie tous nos concitoyens, et l'immense foule qui vient avec moi de vous souhaiter la bienvenue, témoigne d'une manière trop vive l'impression profonde qu'elle a faite sur notre population, pour que je puisse rien ajouter au témoignage de la satisfaction générale.
M. le Commandant, rien ne doit vous surprendre dans cette cordiale réception; la population toute entière a compris tout ce qu'elle devait au noble marin français, chargé par Sa Majesté l'Empereur des Français, d'une mission spéciale auprès des autorités du pays, et c'est pour cela qu'avec nous, ellse [sic] ne négligeront rien pour rendre utile et agréable votre mission parmi nous.
Toutes nos institutions religieuses et civiles s'empresseront de vous ouvrir leurs portes, et nous avons une trop bonne opinion de nos concitoyens pour ne pas croire qu'ils agiront envers vous et vos dignes officiers de manière à laisser dans votre mémoire un souvenir de l'hospitalité qu'ils vous auront offerte.
Nous avons compris que votre mission parmi nous était de la plus haute importance; qu'elle allait ouvrir à notre commerce international une porte plus large, et que l'échange de nos produits amènerait pour l'un et l'autre peuple des résultats considérables, dans l'industrie, dans les sciences et les arts.
Nos forêts, il est vrai, ne sont pas ce qu'elles étaient lorsque votre illustre devancier, le navigateur de St. Malo, foula le premier la plage d'Hochelaga; la civilisation importée par le célèbre marin, a reculé les bornes de la forêt vierge, mais elles sont immenses nos forêts et fourniront toujours assez de bois de construction pour alimenter les chantiers des marines alliées. Notre pays d'ailleurs contient d'immenses ressources que le génie de nos deux grandes nations sauront exploiter pour le bien-être de tous.
Bientôt, nous l'espérons, la France et l'Angleterre alliées et armées pour une guerre sainte feront connaître au monde entier que le règne de la tyrannie est passé et que le sort des peuples est assis sur des bases plus solides. Alors, M. le Commandant, votre vaisseau arborera le drapeau de la victoire, et célèbrera ce fait immense par des salves d'allégresse; dans ce grand jour qui ne peut tarder à venir et que nous espérons même célébrer avec vous (tant est grand notre espoir dans la puissance des nations alliées) toutes nos rivalités préjudiciables auront disparu pour faire place à l'harmonie, au progrès des sciences et des arts, et notre florissante cité n'oubliera jamais que vous, M. le Commandant, êtes venu inaugurer parmi nous cette ère de bonheur. Puisse votre haute mission avoir le résultat désiré, et puissiez-vous remporter dans votre beau pays un bon souvenir de votre séjour parmi nous.
Recevez donc, M. le Commandant, la bienvenue de notre ville.
Réponse de M. de Belvèze.
M. le Maire, Messieurs,
L'alliance de la France et de l'Angleterre eut été passagère et stérile, si les deux Souverains illustres qui gouvernent ces deux grands pays l'avaient réduite à préparer la guerre et à donner des chances à la fortune des armes.
Le but de l'alliance est plus grand et plus noble, ses effets seront bien autrement heureux pour l'avenir de la civilisation. La guerre d'Orient, il faut l'espérer, sera un incident qui aura couvert nos drapeaux d'une commune gloire, et préparé au monde une nouvelle ère de paix et de prospérité.
La mission que je remplis ici est un jalon planté dans cette voie large et féconde; vous l'avez ainsi compris, messieurs, et les honneurs qui accueillent le premier bâtiment français qui, depuis près d'un siècle, a remonté les eaux du St. Laurent, s'adressent surtout à la Reine et à l'Empereur, dont le règne sera plus illustre par cette politique d'amitié et de progrès que par les plus brillants exploits militaires.
Votre accueil sympathique est donc un encouragement pour tous; nos navires marchands viendront bientôt, j'espère, sur vos rades; ils échangeront nos produits contre les vôtres, et ainsi seront renoués les liens de la France et du Canada. Le temps des conquêtes est passé : cette parole tombée du haut d'un trône, explique ma présence ici; l'objet de mes investigations et de mes recherches et la bienveillance qui m'accueille partout, dans les régions officielles comme dans la rue, sont une preuve qu'elle est comprise unanimement comme l'a voulu l'Empereur.
Veuillez agréer l'expression de ma profonde gratitude pour l'honneur que vous avez bien voulu me faire, en me portant votre adresse.
Le Capitaine de vaisseau, Chef de division, Commandant la Capricieuse,
De Belvèze.
Montréal, 28 juillet 1855.
L'Hon. M. J. Young président de la Chambre de Commerce présente l'adresse suivante :
A Monsieur de Belvèze, Commandant la Division Navale de France à la Station de Terreneuve.
Monsieur,
Le Conseil de la Chambre de Commerce de Montréal vous prie d'accepter ses félicitations à l'occasion de votre arrivée en cette ville, et d'entendre l'expression du vif intérêt que, de concert avec le corps commercial qu'il représente, il porte à l'objet de votre mission en ce pays. Il croit que des informations sur les ressources commerciales de cette province, informations telles que celles que vos recherches et vos observations permettront de communiquer à votre gouvernement et combinées avec l'adoption d'un système fiscal éclairé, peuvent amener l'établissement d'un commerce important et qui s'accroîtra avec rapidité, - ce qui ne saurait manquer de devenir très-avantageux pour les deux pays. Pendant votre séjour parmi nous, le Conseil de la Chambre de Commerce se fera un plaisir de vous fournir toutes les informations qui lui seront possibles sur les ressources de cette province, et vous indiquera les moyens d'étendre les relations commerciales avec votre pays.
Nous avons l'honneur d'être,
Monsieur,
Vos respectueux, &c.,
John Young,
Président.
John G. Dinning,
Secrétaire.
Bureau de la Chambre de Commerce,
28 juillet 1855.
Réponse de M. de Belvèze.
Messieurs les membres du Bureau du Commerce,
Vous savez le but du voyage de la Capricieuse dans les eaux du St. Laurent, et l'intérêt que vous portez au succès de sa mission me prouve que vous en appréciez le caractère éminemment utile.
Les souvenirs de commune origine qui donnent à votre accueil un caractère si sympathique, loin d'être pour nous tous un sujet d'appréhension, n'ont fait que rendre plus nette, plus franche et plus facile, ma situation parmi vous.
Honneur et gratitude, messieurs, aux chefs des deux gouvernements qui, par leur politique d'amitié et de progrès, ont rendu possible au milieu d'une guerre juste et honorable la préparation de relations commerciales plus étendues et plus actives. Ce sont ces relations, c'est ce commerce direct entre la France et le Canada que je suis chargé d'étudier et de faire connaître. Par vos lumières, messieurs, par votre bienveillance si expansive et si honorable, ma tâche deviendra facile; et lorsque l'Angleterre et la France auront accompli la mission que la Providence leur a imposée en Orient pour assurer le repos du monde, vous, messieurs, et nos négociants serez prêts à rattacher votre pays au nôtre par le lien le plus profitable et le plus désirable, celui du commerce, le seul qui place deux pays dans des rapports de liberté et de bienveillance réciproques.
Agréez, messieurs, mes remercîments [sic] pour l'adresse que vous m'avez présentée aujourd'hui.
Le Capitaine de vaisseau, Commandant en chef la division navale de Terreneuve,
Signé : De Belvèze.
Montréal, 28 juillet 1855.
P.R. Lafrenaye écr., président de l'Institut-Canadien, lut ensuite l'adresse que voici :
A Monsieur de Belvèze, Commandant de la Division Navale de France, à la Station de Terreneuve.
Monsieur le Commandant,
L'acclamation enthousiaste qui accueille en ce moment le drapeau de la France, sur les plages de son ancienne colonie, ne traduit qu'incomplètement les sentiments qu'éveillent parmi notre population, les souvenirs d'une commune origine avec les braves marins que vous commandez avec autant d'honneur pour vous-même que d'avantage pour le gouvernement de Sa Majesté Impériale de France.
Dans le concours que se prêtent toutes les origines pour vous souhaiter la bienvenue, l'Institut-Canadien, dont la mission est de propager la science en général et les lettres françaises en particulier, avait un double devoir à remplir auprès de vous; celui qu'ont déjà accompli nos corps politiques et civiques, en saluant votre passage au milieu de nous, et en second lieu celui d'exprimer au représentant officiel de la France, la profonde reconnaissance des membres de cette institution pour les actes de munificence dont ils viennent d'être l'objet de la part du gouvernement Impérial de France, de différentes facultés de l'Institut de France et de plusieurs savants illustres de notre ancienne mère-patrie.
Les sciences et les arts qui sont l'objet du culte et des travaux de l'Institut-Canadien, ont été, de tout temps, si puissamment développés, au moyen des relations commerciales entre les différents peuples, que la mission dont vous êtes chargé par votre gouvernement, devait dès l'abord captiver toutes nos sympathies. L'initiative que prend aujourd'hui le gouvernement français par votre entremise presque simultanément avec l'action bienveillante de vos corps et de vos hommes savants à l'égard de l'Institut-Canadien, nous fait augurer une reprise prochaine de tous les liens moraux qui nous rendent la France chère.
C'est donc avec bonheur que nous nous joignons à ceux de nos concitoyens qui vous ont déjà présenté leurs félicitations, pour vous souhaiter à vous et aux braves marins qui vous accompagnent, une cordiale et hospitalière bienvenue au milieu de nous, et pour mettre à votre disposition tout ce qui pourra contribuer à rendre votre mission heureuse, agréable et surtout fructueuse.
P. R. Lafrenaye,
Près. I. C.
M. de Belvèze a répondu comme suit :
Messieurs les membres de l'Institut-Canadien,
Je me sens à l'aise en répondant à votre honorable adresse; il s'agit de sciences, d'arts et de belles-lettres, dont le culte forme un des plus beaux titres d'honneur de la France, la vieille patrie de vos aïeux et des nôtres.
Les Canadiens, messieurs, seuls dans l'Amérique du Nord, ont toujours prétendu à une nationalité distincte; ils ont soutenu pour elle une glorieuse lutte; ils ont pensé à bon droit selon moi, que la destinée des peuples n'était pas toute entière dans le perfectionnement de la vie matérielle et qu'elle se manifestait aussi par les travaux de l'esprit.
L'Institut-Canadien a la mission de conserver cette tendance toute française, et de l'autre côté de l'Atlantique, dans la patrie de Descartes, de Racine et de Bossuet, comme dans celle de Milton, de Shakespeare et de Newton, on y applaudit et on vous y encourage.
Cultiver, messieurs, dans la jeune Amérique, le champ des œuvres de l'esprit; c'est par elle qu'un peuple est complet, et, sans rien perdre de son aptitude au travail matériel, devient la tête et le cœur dans la société des hommes civilisés.
J'espère et je pense que ce rôle est réservé par la Providence aux Canadiens, et c'est un grand honneur d'applaudir à l'Institut qui est l'instrument d'une si belle destinée.
La France littéraire et artistique connaît vos succès, et vous trouverez toujours son suffrage et ses encouragements pour tous vos travaux.
Veuillez agréer, monsieur, l'assurance de ma considération la plus distinguée.
Le capitaine de vaisseau, chef de division, commandant la Capricieuse,
De Belvèze.
Montréal, 28 juillet 1855.
L'Institut-Canadien doit s'estimer heureux de posséder les trésors d'art et de science dont il est redevable à la munificence de l'Empereur des Français. Les magnifiques sculptures en marbre d'un Laocoon, d'une Vénus de Milo et de l'Apollon du Belvedère et autres objets précieux dont la bienveillante sollicitude de S. M. I. a fait don à l'Institut de Montréal sont les gages précurseurs de cette intime correspondance que tous les amis des lumières et de l'avancement intellectuel du Canada doivent désirer voir s'établir avec la France littéraire et scientifique, de même que les amis du commerce désirent un échange de produits entre les deux pays.
Après la séance M. de Belvèze, accompagné par sa suite, M. le maire et les membres du conseil de ville, alla visiter nos principales institutions, sur le compte desquelles il s'exprime, paraît-il, avec éloge et satisfaction. |
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