« Fête commémorative de la seconde bataille d'Abraham », Journal de Québec, 13e année, no 84, samedi 21 juillet 1855, p. 1 :

La journée de mercredi dernier, 18 juillet, restera pour tous les cœurs vraiment canadiens, une solennelle commémoration; elle a consacré de glorieux souvenirs, en même temps qu'elle devenait une glorieuse espérance.

C'était le jour fixé, d'après le programme de la Société Saint-Jean-Baptiste, pour la pose de la pierre angulaire du monument qui va s'élever en l'honneur des braves tombés glorieusement dans la seconde bataille d'Abraham; et pour donner à la cérémonie tout l'éclat dont elle était susceptible, on avait attendu, que nos frères de la vieille France, représentés par les braves marins de la Capricieuse, fussent-là, concourant pieusement à la solennité.

Vers une heure de l'après-midi, s'agglomérait sur les hauteurs de l'Esplanade une population immense, accourue de tous les points de la cité, des faubourgs, de la banlieue et des paroisses voisines, des Trois-Rivières, et de Montréal même.

Il n'y avait là qu'une seule pensée, qu'un seul sentiment, qu'une seule et même émotion. Et quand tous les corps civils et militaires, les marins de la Capricieuse et leur digne commandant M. de Belvèze, se trouvaient réunis au lieu du rendez-vous, la masse s'ébranlait, le cortège se formait avec ordre, et défilait lentement et solennellement vers l'endroit qui doit porter le glorieux monument.

Le programme de la fête avait tout prévu, et tout s'était à merveille arrangé pour en justifier l'heureuse ordonnance.

Les soldats anglais du 16e régiment, les matelots français brunis par les longues et périlleuses campagnes de Chine et de Crimée, les sauvages de Lorette, dont le visage fortement tatoué rappelait la face terrible de leurs devanciers, le corps typographique symbolisé dans son art merveilleux, par le char de triomphe attelé de quatre chevaux blancs, et fièrement chargé d'une presse, les élèves du collège de N. D. de Lévi, et les écoles des frères de la doctrine chrétienne, les sections diverses de la société St. Jean-Baptiste de Québec, celle si brillante et si nombreuse de Sainte-Foye [sic] ; les divers corps de pompiers piétons et cavaliers; tout cet immense monde convié à la fête, dont l'ensemble présentait au regard des tableaux si variés et si imposants, se développait en superbes théories dessinées par des bannières et des oriflammes éclairées des plus charmants reflets.

Rien n'égalait vraiment l'aspect de cet admirable cortège, quand il se déployait le long de la grande rue du faubourg Saint-Jean, parée comme aux jours de la Fête-Dieu, montrant des drapeaux et des banderolles [sic] de toutes couleurs, aux armes anglaises et françaises avec légendes et devises, parmi lesquelles se lisaient les noms d'Alma, Inkermann et Balaklava, se jouant avec le feuillage des arbres verts germés comme fantastiquement sur les deux côtés de la rue.

Le cortège enfin parvenu vers les trois heures, sur la place du monument, le cercle s'est fait tout autour de la pierre angulaire, et la cérémonie de la pose, du jontoyage et du scel s'en est accomplie d'après l'usage antique. Son Excellence, le gouverneur-général, sir Edmund Head, qui s'était rendue là, accompagné de lady Head, recevait alors, des mains de Jos. Larose, écuyer, architecte du monument, la truelle officielle, aussi qu'un bocal de verre contenant divers documents sur la mémorable bataille du 28 avril 1760, a fait de sa propre main, le travail de scel [sic] nécessaire, en frappant les trois coups de maillet sur la pierre définitivement assise, et il a été immédiatement après, imité dans cette opération, par Mons. le commandant de Belvèze, ainsi que par plusieurs personnes éminentes qui avaient fait partie du cortège.

Après quoi, le surintendant de l'instruction publique, l'honorable P. J. O. Chauveau, prenant la parole, a prononcé d'un ton ému, le discours suivant qui a fait sur les esprits la plus vive impression.
Ce discours est une noble inspiration, sortie toute du cœur : car selon Vauvenargues, toutes les grandes pensées viennent de là.
Avec les dernières paroles de l'orateur finissait la belle cérémonie du jour; et la foule s'écoulait ensuite livrée à toutes les fortes émotions qui suivent toujours ces imposantes manifestations nationales.

Discours de M. Chauveau.

Qu'il plaise à Votre Excellence, Messieurs et Mesdames,

Choisi par la Société St.-Jean-Baptiste pour vous adresser quelques paroles qui, à vrai dire, ne viendront pas de moi, mais qui seront plutôt comme un écho affaibli de ce que vos âmes doivent penser, de ce que vos cœurs doivent sentir dans ce moment, si ce n'était que de l'imprudence promesse que j'ai fait [sic], je serais tenté de me taire et de laisser parler pour moi, certain de leur éloquence, cette pompe civile et militaire qui nous environne, le terre que nous foulons teinte autrefois du sang le plus pur et le plus noble de la France et de l'Angleterre, jonchée encore des ossements des guerriers dont nous célébrons la mémoire, les bases de ce monument que nous allons charger de redire aux âges futurs les gloires et les combats de nos ancêtres, ce grandiose paysage, cette nature qui semble taillée pour de tels spectacles, ces montagnes dont les échos vont tout à l'heure retenir des éclats de la foudre guerrière comme au jour que nous commémorons, et là-bas, au fond du tableau, Québec, la ville historique, dont les murs ont vu couler tant de sang et s'accomplir tant de prodiges de valeur!

Vingt-huit avril mil sept cent soixante! [J]our que la Providence dans leurs revers réservait à nos ancêtres pour qu'ils fussent les derniers vainqueurs dans une lutte dont ils devaient eux-mêmes être le prix, pour que le peuple conquis pût toujours marcher tête levée et l'égal de ses conquérants (préparant ainsi l'union fraternelle qui, ici comme ailleurs, devait un jour régner entre les deux races en leur distribuant des lauriers cueillis sur le même champ de bataille), jour aussi glorieux pour les vaincus que pour les vainqueurs, puisse ton souvenir que nous évoquons; m'inspirer des paroles qui ne soient pas trop audessous [sic] de celles qu'il faudrait pour te raconter dignement!

Dans ce qui s'est passé ici il y a près d'un siècle, dans ce qui s'y passe aujourd'hui, quel contraste à la fois et quelle ressemblance!

Plus de 6 mois s'étaient écoulés depuis le jour où Wolfe et Montcalm étaient tombés ensevelis, l'un dans le drapeau victorieux de l'Angleterre, l'autre dans celui qui portait le nom immortel de Carillon; Québec, incendié aux trois quarts, amas de ruines plutôt qu'une ville, subissait la loi du conquérant, l'Angleterre avait appris, avec des transports de joie, la France avec une inconcevable indifférence, la prise de la plus forte citadelle du nouveau-monde; « l'Europe entière, dit Raynal, croyait la grande querelle de l'Amérique de Nord terminée et personne s'imaginait qu'une poignée de français qui manquaient de tout et à qui la fortune semblait interdire jusqu'à l'espérance, ôsassent [sic] songer à retarder une destinée inévitable. »
Et cependant, le vingt-huit avril, voilà qu'à la pointe du jour une nouvelle armée française se présente sur le champ de bataille du treize septembre, guidée par un général d'une bravoure égale et d'une habileté supérieure à celle de Montcalm. Avait-il, comme cet ancien prétendait pouvoir le faire, avait-il frappé la terre du pied pour en faire sortir des légions ? Non; mais elles étaient accourues d'elles-mêmes. Du seuil des chaumières incendiées, du fond des bois, de partout, les canadiens étaient venus se ranger une dernière fois sous le drapeau de la France, essayer de sauver malgré elle la colonie qu'elle abandonnait et l'honneur de ses armes, que dans ces contrées éloignées elle paraissait négliger. Des enfants de douze à treize ans, des vieillards de quatre-vingts ans se rendaient au camp ou y restaient malgré les exhortations des chefs. Plus de la moitié de l'armée du chevalier de Lévis se composait de ces recrues volontaires, de ces soldats que le patriotisme seul avait fait soldats, de ces héros improvisés qui, semblables au vieux Caton, dont ils n'avaient jamais entendu parler, seuls ne désespéraient point d'une cause que le monde entier croyait perdue.

C'est que cette cause était celle qu'enfants ils avaient entendu exalter dans les récits de leurs pères, dans les longues soirées d'hiver; c'est que le zèle de cette cause était entré dans leur âme avec chaque refrain de la ballade guerrière que leur mère chantait près de leur berceau, avec chaque phrase du sermon que prêchait le curé de leur paroisse, avec l'exemple des martyrs attachés au poteau, découpés par lambeaux, inondés d'huile bouillante, et glorieusement décorés de colliers, de haches de fer rougies au feu, c'est que plusieurs avaient déjà brûlé pour cette cause plus d'une cartouche, et s'étaient déjà trouvés vainqueurs un contre trois, un contre cinq, à la Monongahéla, sous M. de Beaujeu, au fort George, à Oswégo, a Carillon sous M. de Montcalm, c'est que jeunes ou vieux, ils n'avaient rien perdu de leur foi religieuse ni de leur foi nationale, qui s'en faisaient plus qu'une, c'est que dans leur héroïque naïveté, après tous les prodiges qu'ils avaient faits eux-mêmes, ils croyaient le bon Dieu tenu en conscience de faire un miracle pour que la croix surmontée du coq gaulois demeurât sur le clocher de leur église et le drapeau blanc semé de fleurs de lys continuât à flotter sur les bastions de leurs forts!

Ce qui s'est passé ici, il y a près d'un siècle, c'était donc de la part de la brave armée anglaise, commandée par le général Murray, victorieuse une première fois sur le même terrain, c'était un effort suprême pour ne pas laisser enlever les fruits de sa victoire, pour conserver cette forteresse dont la possession était depuis si longtemps l'objet de ses convoitises, pour maintenir la supériorité lentement et péniblement acquise par plus d'un siècle de luttes cruelles et incessantes, de désastres sans nombre pour les colonies anglaises, que les bandes canadiennes et les hordes sauvages dévastaient chaque année par le fer et la flamme.

Et c'était de la part des troupes françaises, fatiguées mais non pas épuisées par une longue marche à la pluie et au tonnerre, c'était un effort également héroïque, pour venger leur défaite et la mort de Montcalm, pour reconquérir ce promontoire qui tient la clef de presque toute l'Amérique, pour prouver qu'ils étaient toujours les soldats d'Oswégo et de Carillon.
Mais, pour les milices canadiennes, c'était encore plus que tout cela, c'était la sépulture définitive ou la résurrection de tout ce qu'elle avait aimé et vénéré au foyer domestique, c'était l'agonie ou le triomphe de la religion et de la patrie, et pour ces hommes que le gouvernement qui les abandonnait avait toujours tenu pauvres, et qui pauvres venaient encore de perdre le peu qui leur restait, il n'y avait plus que la vie et la vie elle-même n'était plus rien sans les deux seuls biens qu'ils eussent au monde : la religion et la patrie!

Ce fut donc toute la journée et pendant trois heures surtout, une lutte comme l'histoire nous en montre peu de plus meurtrières. Plus de trois mille hommes, sur quatorze mille, restèrent sur le champ de bataille. « L'eau et la neige, dit M. [François-Xavier] Garneau, (qui a élevé à ces braves dans son histoire un monument plus durable que celui dont nous posons les bases,) l'eau et la neige qui couvraient encore le sol par endroits, étaient rougies du sang que la terre gelée ne pouvait pas boire et les malheureux blessés nageaient dans les mares livides où l'on enfonçait jusqu'à mi-jambe. »

C'était ici sur le petit espace de terre où nous sommes réunis et où s'élevait le moulin de Dumont, édifice qui dominait la position, c'était entre les grenadiers de la Reine commandés par M. d'Aiguebelle, et les montagnards écossais sous les ordres du Colonel Fraser, un combat acharné, qui n'a été égalé depuis que par celui que se livrèrent les Anglais et les Français pour le Château d'Hougoumont, ou encore par celui que ces derniers ont livré contre les Russes pour la prise du Mamelon Vert a Sébastopol. Le moulin fut trois fois pris et repris, et chaque fois les grenadiers eurent à marcher sous le feu incessant d'une lourde et puissante artillerie. Bourlamarque, dont le nom dans toute la guerre avait figuré à côté de ceux de Montcalm et de Lévis, fut gravement blessé et eut son cheval tué sous lui dans cet endroit même.

C'était plus loin, entre les milices canadiennes commandées par M. de Repentigny et par le colonel Rhéaume, et le centre de l'armée anglaise, une lutte non moins héroïque. « L'on voyait, dit encore M. Garneau, les milices charger leurs armes couchées, se relever après les décharges de l'artillerie ennemie et fusiller les canonniers sur leurs pièces. »

Enfin à la droite, M. de Saint Luc, avec un parti de canadiens et de sauvages, et le colonel Poularier avec le Royal-Roussillon culbutaient et tournaient l'aile gauche de l'armée anglaise, la rejetaient sur le centre qu'ils prenaient en flanc et décidaient du sort de la journée.
Partout c'était une scène de carnage et de désolation, un ciel lourd et sombre pesait sur la campagne, des torrents de pluie se mêlaient aux flots de sang humain, les éclairs labouraient le ciel comme les deux des deux armés sillonnaient la terre, les éclats de la foudre se mêlaient aux décharges de l'artillerie, aux fanfares guerrières, aux cris des combattants, aux plaintes des mourants, et la nuit, lorsque le silence et l'immobilité eurent remplacé le bruit et le tumulte, à la lueur des éclairs, les innombrables blessés de l'armée française étaient portés à l'Hôpital-Général au pied du Côteau [sic], tandisque [sic] l'armée anglaise rentrée dans ses murs, encombrait des siens, tous les environs de la ville.

Le lendemain on commençait les travaux d'un siège qui fut levé précipitamment, lorsqu'au lieu de la flotte française que nos pères attendaient comme leur dernière ressource, leur dernière planche de salut, ils virent paraître dans la rade une escadre anglaise qui par sa seule présence assura pour toujours la domination britannique sur ces vastes et riches contrées.

Et voilà ce qui s'est passé ici il y a près d'un siècle!

Et aujourd'hui les drapeaux de la France et de l'Angleterre unis par des banderoles qui portent les noms des victoires gagnées en commun, flottent amis sur le champ de bataille du 13 septembre et du 28 avril, comme ils flottent sur les mers de l'Europe et sur les rochers de l'antique Chersonèse. Un gouverneur anglais, dont l'esprit éclairé et le nombre cœur ont su comprendre tout ce qu'il y avait de beau, de religieux, d'humain, dans la mission que nous l'avons prié d'accepter, préside à cette apothéose des braves de deux nations; à l'exemple du militaire distingué qui l'année dernière était venu rencontrer sur leur passage la pompe funèbre que nous fîmes aux braves du 20 avril, et saluer leurs restes de généreuses paroles, des officiers et des soldats anglais, justement impatients du repos qui leur échait dans ces jours de combat, écoutent avec un religieux silence le récit de cette vieille victoire française, parce qu'ils savent qu'il n'y a que les lâches qui sont jaloux et que leur nation s'est couverte elle-même de trop de gloire pour avoir peur de la gloire des autres!

Et en présence de Lady Head et de la moitié la plus intéressante de la société de Québec, (la beauté comme toujours souriant au récit des actions courageuses), en présence du commandant d'une corvette française, chargée d'une mission toute pacifique, et qui mille fois les bienvenus parmi nous, sont arrivés ici à temps pour voir de leurs yeux que si nous avons été longtemps oubliés de la France, nous n'oublions pas ses héros d'autrefois non plus que ceux d'aujourd'hui, en présence de nos concitoyens anglais, irlandais, écossais, héritiers des vertus des peuples de trois royaumes avec qui nous aimons à fraterniser, en présence des descendants des hurons, les fidèles alliés de nos ancêtres, qui donnèrent leur part de sang et cueillirent leur part de gloire sur tous les champs de bataille de l'Amérique ; nous les descendants des miliciens de 1760 nous enfermons dans un même monument les ossements confondus des grenadiers de la reine et des montagnards écossais qu'un Archevèque [sic] a bénis sans leur demander à quel culte ils avaient appartenu.

Et que ne dira-t-il pas à la postérité ce monument? Quel enseignement plus profond, quel plus haut tribut à l'héroïsme des temps anciens, à l'union fraternelle du temps présent, à l'oubli des haines passées, au souvenir des gloires qui ne passeront pas!
Ne parlera-t-il pas le même langage éloquent que parle dans un autre endroit l'obélisque élevé à la mémoire commune de Wolf et de Montcalm pour distinguer entre le soldat vainqueur et le soldat vaincu, lorsque tous deux étaient morts en héros?

Ne dira-t-il pas aux Bretons comme aux Français, aux émigrés comme aux natifs, que la même fidélité que nos pères avaient montrée pour leur ancien drapeau, nous l'avons montrée pour le nouveau, que s'ils étaient les hommes de Carillon et des plaines d'Abraham et de Chateauguay, et que nous, les hommes de la nouvelle génération, nous n'avons pas encore dit à l'histoire le dernier mot de notre race?

Ne dira-t-il pas aux générations futures que le souvenir des grandes actions a beau dormir dans la poussière et l'oubli, il faut qu'un jour, ne fut-ce qu'après un siècle, il se réveille et ressuscite rayonnant d'une splendeur imprévue?

Ne dira-t-il pas aux hommes trop positifs peut-être de notre époque, qu'après tout l'on ne meurt qu'une seule fois, et que cette fois là, il vaut autant mourir écrasé par la mitraille que sous les roues d'un char à vapeur, que ceux qui agiotaient, qui s'enrichissaient, il y a un siècle, sont morts tout comme ceux qui combattaient, Bigot et Deschenaux aussi bien que Montcalm et Lévis, et qu'ils sont oubliés ou exécrés, tandis que les pauvres soldats, les pauvres miliciens et les pauvres sauvages du 28 avril reçoivent, après plus d'un siècle, à la face du soleil, l'apothéose la plus magnifique qu'il nous soit possible de leur donner?

N'enseignera-t-il pas aux peuples de l'avenir que les guerres et les haines d'un siècle sont les amitiés et les alliances d'un autre siècle, que la face des empires change, que les empires eux-mêmes s'écroulent, qu'une seule chose reste debout, la mémoire des braves? Ne dira-t-il pas qu'après avoir lutté sur terre et sur mer dans les arts de la guerre et dans ceux de la paix, dans les sciences où elles ont produit Pascal et Bacon, Newton et Cuvier, Laplace et Herschell, dans les lettres où elles ont placé au faite de l'intelligence humaine, Bossuet et Milton, Shakespeare et Corneille, Lamartine et Byron, notre ancienne et notre nouvelle mère-patrie désespérant de pouvoir se vaincre l'une l'autre se sont décidés à dominer réunies le reste du monde ?

Ne dira-t-il pas qu'après l'oubli séculaire de tous les souverains et de tous les gouvernements le neveu de l'illustre empereur qui, dans l'universalité de son génie, avait réalisé cette parole d'un ancien, nil humani alienum à [sic] me , au milieu des préoccupations sans nombre d'une époque où se décide le sort de l'Europe et de la civilisation, s'est souvenu d'un million de Français oubliés sous le drapeau britannique, d'un peuple qui surgit aux yeux de la France comme une apparition d'outre-tombe!

Et lorsqu'il s'élèvera ce monument surmonté de la statue que nous irons demander à la France notre alliée d'y placer elle-même, ne croyez-vous pas que le vieillard en s'agenouillant sur la tombe des guerriers ainsi glorifiés regrettera de n'avoir pas lui aussi donné sa vie pour sa patrie, que le jeune homme se relèvera pour s'élancer plus courageux et plus ferme dans la carrière qu'il aura choisie et que la mère qui passera près d'ici, tenant son jeune fils par la main lui fera détourner la tête de crainte que la fascination de tous ces honneurs rendus au courage ne l'enlève trop tôt à son amour pour le jeter sur la voie périlleuse de l'honneur?

Et ces guerriers eux-mêmes s'il leur était donné de se lever de leur couche funèbre, et de contempler le jour aussi pur et brillant qu'il était sombre le jour de leur combat, ces campagnes aussi riches, aussi heureuses qu'elles étaient alors désertes et dévastées, cette ville alors en ruines, et qui florissant aujourd'hui dans les arts de la paix se répand partout dans la vallée et déjà sur le coteau envahit jusqu'à leur sépulture, ce bassin splendide, cet afourc d'eau bel et profond, comme disait Champlain, aujourd'hui couvert des vaisseaux de toutes les nations, au milieu desquels se trouve enfin un des vaisseaux français que nos pères attendaient avec tant d'angoisse à l'heure suprême; s'il était donné surtout, s'il était donné à nos miliciens d'entendre après un siècle parler français sur leur tombe, de voir comme ils disaient naïvement, de voir leurs gens, des uniformes français mêlés à des uniformes anglais pour leur rendre hommage, de contempler leur religion et leur nationalité debout encore et respectées à côté de la religion et de la nationalité des conquérants, sous cette domination anglaise qu'ils redoutaient si fort, n'est-il pas vrai qu'ils demanderaient comme une faveur de vivre quelque temps auprès de nous?

Mais non, guerriers que nous vénérons, vous avez payé votre dette à la patrie c'est à nous de payer la nôtre. Votre journée est remplie, votre tâche laborieuse et sanglante est terminée, la nôtre à peine commence. Vous vous êtes couchés dans la gloire, ne vous levez pas! Pour nous, quelques soient nos aspiration, notre dévouement, notre courage, Dieu seul sait où et comment nous nous coucherons. Mais vous, dormez en paix, sous les bases de ce monument, entourés de notre vénération, de notre amour, de notre perpétuel enthousiasme... dormez... jusqu'à ce qu'éclatent dans les airs les sons d'une trompette plus retentissante que celle qui vous sonnait la charge, accompagnée des roulements d'un tonnerre mille fois plus formidable que celui qui célébrait vos glorieuses funérailles, et alors tous, anglais et français, grenadiers, montagnards, miliciens et sauvages, vous vous lèverez tous, non pas pour une gloire comme celle que nous faibles mortels nous entreprenons de vous donner, non pas pour une gloire d'un siècle ou plusieurs siècles, mais pour une gloire sans termes et sans limites, et qui commencera avec la grande revue que Dieu lui-même passera quand les temps ne seront plus!