
« Visite de M. de Belvèze », La Patrie, vol. 1, no 87, mardi 28 août 1855, p. 2 :
M. de Belvèze a laissé le Canada; il a quitté cette province où il a trouvé un accueil si cordial et si distingué, et une hospitalité si franche. M. de Belvèze est allé rendre compte de son intéressante mission, et il ne nous reste plus que le souvenir de cette visite, qui a causé une si vive sensation dans toutes les parties de la province. Nous attendrons maintenant les résultats de cette mission, et nous avons le ferme espoir qu'ils ne tarderont pas à être effectués; car nous avons une confiance entière dans la sincérité de cette mission, dans le vif désir de la France de former des relations commerciales plus intimes et plus importantes avec le Canada, et dans la possibilité d'un échange de produits fort considérable et très profitable pour les deux parties.
Nous regrettons beaucoup de voir qu'un journal français de cette ville a cherché à jeter du louche sur la mission de M. de Belvèze, et à la faire envisager sous un point de vue bien différent de ce qu'elle est réellement, à nos yeux. Le Moniteur prétend que M. de Belvèze a caché les vraies fins, l'objet véritable de sa visite au Canada; que le but de cette visite était plus politique que commercial, et qu'en un mot M. de Belvèze venait ici pour étudier le terrain politiquement.
Le Moniteur fonde son opinion sur le fait que M. de Belvèze est venu ici dans une corvette de 32 canons, au lieu de venir simplement comme un voyageur de commerce. Nous ne voyons là rien qui puisse appuyer son avancé [sic]; nous ne voyons rien de surprenant à ce qu'un navire de guerre vienne dans une possession britannique, dans un moment où existe une si étroite alliance entre la France et l'Angleterre.
Au contraire, la manière dont M. de Belvèze est venu ici est pour nous une preuve de la vérité de tout ce qu'il a dit. Si l'empereur des français eût eu les intentions que semble lui prêter notre confrère, la mission eut été secrète, et la personne chargée « d'étudier le terrain » eût pu le faire secrètement sans difficulté. La venue d'une corvette avec officiers et équipage, qui d'ailleurs ne s'est pas faite sans le consentement du gouvernement anglais, prouvait chez le gouvernement français la franchise de ses intentions.
Nous comprenons que le rédacteur du Moniteur puisse avoir quelques raisons privées. Il peut ne pas aimer Napoléon III; mais l'amertume de son ressentiment n'aurait pas dû, ce nous semble, rejaillir sur un officier honorable, qui ne fait qu'obéir aux ordres qu'il a reçus du chef du gouvernement auquel il a promis et doit obéissance, et qui s'est noblement, franchement acquité [sic] d'une mission fort délicate.
Nous ne dirons rien de l'épithète de valet donnée à un officier supérieur d'une des premières armées de l'univers. D'après la manière de voir du Moniteur, bien peu de gens ne seraient pas valets, car à l'exception du chef suprême d'un État, depuis le dernier des serviteurs, jusqu'au général ou au prélat le plus élevé, tout le monde a un maître ou du moins un supérieur; et qui sait si le chef d'un État n'est pas lui-même celui qui a plus de maîtres!
Mais n'était-il pas bien dur, pour ne rien dire de plus, d'insinuer que la mission de M. de Belvèze n'a été qu'un continuel mensonge? Doit-on, sans preuves, supposer qu'un officier militaire distingué, auquel ses serviteurs ont valu de hauts témoignages d'estime, qui porte sur la poitrine les décorations les plus honorables, viendra, pendant un mois et plus, essayer de tromper une population qui toute, sans distinction d'origine, le reçoit à bras ouverts? Les marins ont toujours été renommés pour leur franchise, et s'il se fut agi d'une mission à la Machiavel, ont eût trouvé quelque diplomate plus rompu aux ruses du métier.
Pour nous, nous n'avons pas le moindre doute que la mission de M. de Belvèze était bien et réellement telle qu'il la représentait, d'une nature toute commerciale, sans arrière pensée [sic] aucune. Tout ce que nous avons vu a contribué à nous en convaincre. Les relations de M. de Belvèze dans le pays, la nature des renseignements qu'il s'est occupé de reccueillir [sic], renseignements exclusivement commerciaux, ses discours publics, ses conversations privées, tout nous persuade que son voyage au Canada n'avait pas d'autre but que celui qu'il avouait.
On ne saurait, en bonne foi, rendre cet officier responsable des bruits qui ont couru avant son arrivée sur l'objet de son voyage. Ce n'est pas lui qui jamais annonça cette prétendue mission de remercier le Canada, au nom de la France, des £25,000 si généreusement donnés pour les veuves et orphelins de la guerre de Crimée. Cette nouvelle, qui du reste n'avait rien d'improbable, s'est répandue on ne sait comment. M. de Belvèze, n'ayant pas de mission à cet effet, n'a pu offrir de remercimens [sic] officiels; mais il n'a jamais perdu une occasion de faire une allusion reconnaissante à cet acte de notre parlement.
Maintenant, quels seront les résultats de cette visite? C'est ce que l'avenir seul pourra nous dire; mais il est hors de doute qu'ils pourraient avoir une haute importance, sous le point de vue commerciale. Car nous ne consentirons jamais à envisager l'arrivée de la Capricieuse sous un jour politique. La France ne pourrait, ni ne voudrait essayer une conquête, dont la seule idée est ridicule; elle n'y trouverait aucun avantage, et y trouverait de cruelles difficultés. D'ailleurs le temps des colonies s'en va et ce serait un triste moment pour essayer de s'emparer d'une possession aussi éloignée.
La France, nous le répétons, ne peut ni ne veut reconquérir son ancienne colonie; mais ce qu'elle peut, ce qu'elle se doit à elle-même et ce qu'elle nous doit, c'est de faciliter autant que possible nos relations commerciales; c'est de nous emmener ses produits et d'emporter les nôtres en échange, c'est d'ouvrir à ses marchands un marché nouveau, qui peut contribuer puissamment à la prospérité de son commerce.
(À continuer.)
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