
« Canada », Le Moniteur canadien, vol. 8, no 43, 23 août 1855, p. 1 :
Le nom de M. le commandant de la frégate française, la Capricieuse est encore sur toutes les lèvres, à l'extrémité de toutes les plumes. M. de Belvèze est l'évènement politique du jour. Dans le Bas comme dans le Haut-Canada il n'est bruit que de ses gestes et faits. On a vu, par une correspondance, publiée dans notre avant dernier [sic] numéro, que les hommes d'État de l'Union s'occupaient quelque peu de cette visite-intrusion. Ne serait-il pas à propos, à défaut d'autre sujet, de consacrer aussi quelques lignes à M. le délégué de l'homme du 2 décembre [Napoléon III]?
Depuis l'arrivée de cet ambassadeur chez nous, il nous a paru convenable de nous instruire sur les questions diplomatiques. Pauvres colons-sujets de l'Angleterre nous n'étions point accoutumés à ces relations officielles. C'était grand honneur pour nous de recevoir le chargé d'affaires, par intérim, de la nation française. Il y avait si longtemps que le nom de notre mère-patrie était frappé d'ostracisme; si longtemps que l'Angleterre pratiquait aux quatre veines de la nationalité une opération de phébotomie [sic] pour nous extraire jusqu'à la dernière goutte de sang qui échauffe le cœur des Canadiens, que nous ne croyons plus qu'elle se reprendrait d'amour pour notre prigme [sic]. Un siècle environ s'était écoulé depuis la cession du Canada et le traité de Paris. Depuis ce temps, il n'était guère en usage, parmi nos gouverneurs gouvernants ou ministres de parler du culte français. La langue n'était pas proscrite, mais traquée dans les cours de justice; on ne bannissait pas les mœurs, mais on les faisait mourir de consomption; on ne recherchait pas le commerce de la France, mais on fermait un jour le pays aux Français; un autre on écrasait d'impôts les produits de France destinés au Canada ou les produits du Canada destinés à la France; un autre enfin - au jour d'aujourd'hui - tout en affichant l'amour de la France, on mettait l'embargo sur les correspondances entre la France et le Canada. (Le lecteur voudra bien se rappeler que toute lettre partant de France, avec New-York [sic] pour destination ou partant de New-York [sic] avec la France pour destination, est cotée, aux États-Unis au taux de vingt-cinq cents, tandisque [sic] la même lettre mise à la poste de Montréal avec Paris pour destination coûte soixante-trois cents d'affranchissement ou de délivrance.)
Or, en songeant à tout cela, nous avons pensé que, nonobstant les dires de M. de Belvèze, de M. Drummond ou autres, le mandat diplomatique de l'officier français avait plutôt trait aux hiéroglyphes de la politique qu'aux chiffres du commerce. Entre un Talleyrand et Barème, entre le positivisme et la duplicité il y a quelque différence. Donc nous avons examiné, comparé, analysé, déduit. Et d'abord, nous rappelant que les journaux officiels du gouvernement canadien avaient annoncé que M. de Belvèze venait remercier ledit gouvernement canadien de l'allocation de £25,000 aux soldats de Crimée, nous avons relu le premier discours de M. Belvèze lors de son débarquement à Québec. Non seulement ce discours n'exprime pas ces remerciments que la simple politesse exigeait, mais il ne fait pas même allusion au cadeau des £25,000.
M. de Belvèze parle de traité commercial... Vraiment, M. de Belvèze est bien galant. À Nous qui ne pouvons rien, pas même signer un acte de réciprocité avec nos voisins, sans l'adhésion du cabinet de St. James; à nous qui ne pouvons pas même échanger nos journaux avec la Grande-Bretagne, sans solliciter humblement permission, en jetant à la quêteuse l'aumône d'un penny dans son escarcelle, à nous qui sommes sous la tutèle [sic] de la métropole, nous demander si nous aimerions à faire échange d'importation et d'exportation avec la France, c'est nous procurer plaisir sensible. Serions-nous donc libres, enfin? Bonaparte aurait-il assez abaissé la Grande-Bretagne maritime pour lui imposer son sic jubeo, ou bien M. de Belvèze aurait-il rempli une tâche semblable à celle que Machiavel recommandait aux ambassadeurs florentins? D'aucuns opinent pour la dernière de ces hypothèses; serait-il imprudent de défendre la première? Franchement nous hésitons encore à nous prononcer. Mais les conjectures de notre correspondant de New-York se représentent souvent devant notre esprit; et plus nous examinons la situation européenne; plus nous nous sentons disposés à croire que M. de Belvèze est venu en Canada « pour étudier le terrain. » Une corvette armée de trente deux canons, commandée par un chef de station, dépêchée vers nos ports dans un but commercial, cela nous paraît plus que diplomatique (ce mot vient du grec diploos, double).
Fallait-il des renseignements sur l'état du Canada, évidemment le gouvernement français n'avait pas besoin d'un navire de guerre pour aller les chercher. En supposant, qu'on ne connût point notre pays, le plénipotentiaire français [sic] à Londres était bien capable de réunir et expédier à ses maîtres tous les documents nécessaires. S'agissait-il de nouer des liens commerciaux entre la France et le Canada, la France, c'est-à-dire le gouvernement français savait bien que c'était à son allié, au vainqueur des plaines d'Abraham et de Waterloo, non à un état-colon qu'il devait s'adresser. Pour disposer de l'esclave on le vole au propriétaire ou on le lui achète. Que M. de Belvèze laisse donc de côté sa mission mensongère, et qu'il ne s'imagine pas que les Canadiens ont pris ses paroles pour articles de foi. On lui a fait un brillant accueil, comme représentant d'une grande nation qui a découvert l'Amérique du Nord et puissamment contribué à sa civilisation; on a vanté en lui les qualités d'un peuple-flambeau; on lui a galamment accordé une hospitalité qu'on accorde à tout membre de la famille française de quelque distinction; mais pas un démocrate n'a cru aux harangues, réponses ou apostrophes du serviteur du coup d'état; pas un homme réfléchi n'a ajouté foi aux formules orales ou écrites de l'officier de Napoléon III; l'évangile du maître et des valets est trop connu.
N'était-il pas ridicule d'entendre dire à M. de Belvèze, dans l'un de ses speechs, que le gouvernement français pousserait les Basques à immigrer vers le Canada? Ne sait-on pas que le Français surtout le Français du sud est stationnaire, qu'il a horreur du déplacement et que la nécessité seule peut le décider à déserter le toit qui l'a vu naître. Et puis, comment donc le gouvernement français ferait-il pour envoyer ici ses sujets à cinq mille milles de leur pays, lui qui n'a su les engager à aller chercher fortune en Algérie à trois cents lieues de leur mère-patrie? Leurre que cette insinuation. Si la France pouvait se débarrasser du superflu de sa population, c'est dans ses colonies d'Afrique qu'elle jetterait son superflu! c'est là que se porterait immédiatement ce superflu; car, le sol, le climat, sont aussi sains, aussi productifs que le sol et le climat du Canada. Quelques-uns de nos confrères étaient, d'honneur, bien bons, de regretter que les Basques ne parlassent pas français, Soyez tranquilles, MM. les Anglais, il ne vous sera pas nécessaire d'apprendre le patois basque, et si vous connaissez la langue française, vous pourrez aisément converser avec les braves habitants des Pyrénées.
Dans un prochain numéro, nous essaierons de déchirer le voile sous lequel se cachent M. de Belvèze et ses desseins.
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