Bois pour la marine militaire. - Espèces et qualités. - Bois de l'Ottawa, du Saint-Maurice, du Haut-Trié. - Fin du voyage.
La marine militaire éprouve des embarras toujours croissants à se procurer les bois nécessaires pour la construction des vaisseaux d'un rang élevé. Je remettrai au ministre des notes spéciales sur les productions de l'Ottawa qui indiquent les ressources de cette vallée, notamment en chênes, ormes, merisiers et autres bois qui peuplent les forêts canadiennes. Je veux dans cet article appeler son attention spéciale sur les bois de mâture.
Il y a quelques années, les arsenaux de la marine s'approvisionnèrent d'une notable quantité de màtures [sic] du Canada. J'ai su dans le pays que la fourniture n'avait pas été faite avec tout le soin désirable.
Le bois du Canada est employé depuis très-longtemps et sans hésitation sur les bâtiments anglais et américains, et recherché par les arsenaux britanniques.
Les bois du Canada (pin rouge et pin blanc) sont moins résineux que ceux de la Baltique, et ils perdent plus promptement ces sucs spéciaux qui maintiennent l'élasticité : il en résulte que, pour en faire un bon emploi, il ne faut les laisser vieillir ni dans les fosses, ni en drôme [sic], mais les utiliser dans les années qui suivent de près l'abatage et la mise ne œuvre.

Ainsi les fosses devraient être remplies par les pins de la Baltique qui s'y conservent longtemps; les mâtures du Canada devraient être mises en clef les premières, et celles du Nord en drôme [sic], ainsi que cela se pratique en Angleterre, et l'approvisionnement aurait dû se faire, non pas en masse, mais annuellement, de manière à pourvoir au déficit produit par la consommation.
C'est ainsi que l'on opère dans les arsenaux et dans les ports de commerce anglais.
Si donc on veut faire un bon usage des màtures [sic] canadiennes, c'est dans ce système que l'approvisionnement et la consommation doivent être organisés.
Mais ce qui devient pour la marine militaire une difficulté très-grande, c'est de trouver ces pièces énormes, susceptibles de faire des màts [sic] de hune de vaisseau, et qui sont fournies par des arbres séculaires dont la végétation a été préservée des accidents qui produisent les tares.
Les arbres parfaits dans ces dimensions deviennent très-rares, très-chers : il importe au Gouvernement de connaître les lieux où il y en a et de s'en assurer la fourniture : il serait surtout essentiel que cette fourniture pût être répartie en une série d'années, et qu'il fùt [sic] assuré d'être approvisionné avec exactitude, régularité, et sans être soumis aux variations de prix du commerce produites par les chances de la guerre et de la navigation.
Malgré sa longueur, ce rapport ne fait qu'effleurer la plupart des faits et des idées que suggère le voyage si intéressant du Canada. Je trouverai, j'espère, l'occasion de compléter par de nouveaux détails les conclusions pratiques qu'on en peut déduire.
J'ai été, sous le rapport des personnes, aussi heureux que pour les détails matériels de la campagne. Aucun accident, aucune maladie ne sont venus marquer d'un caractère fâcheux les jours qui se sont écoulés dans cette navigation toute nouvelle. Un seul homme, sans capacité et sans valeur (peintre en bâtiment de son métier), a quitté la corvette dans ce pays que les navires de guerre anglais d'osent pas fréquenter, parce que leurs équipages y sont décimés par la désertion et la débauche.
Pas un seul homme m'a été surpris en état d'ivresse, et la Capricieuse, visitée par des populations entières, qui frétaient des steamers pour venir de loin faire une sorte de pèlerinage patriotique, ne laisse ici que le souvenir d'un bâtiment aussi bien discipliné qu'élégant et gracieux.
Tout a réussi, ce me semble, dans cette reprise de relations, et je souhaite que ce succès soit complété et sanctionné par l'approbation du Ministre et du Gouvernement de Sa Majesté.

Je suis, etc.

Belvèze,           
Capitaine de vaisseau.