Agriculture. - Usines. - Concessions. - Mouvements des bois. - Constructions navales.
Le Canada est surtout un pays agricole, malgré la rigueur de son long hiver. Dès que le soleil de mai vient fondre les neiges, la terre se revêt rapidement d'une végétation luxuriante; en quelques semaines les céréales, les plates fourragères atteignent une hauteur considérable, et, en quatre mois, toutes les récoltes viennent à maturité.
Pendant l'été, c'est un pays admirable; sa production consiste surtout en céréales et en fourrages, et l'élève des bestiaux peut s'y faire, par conséquent, sur une très-grande échelle. C'est surtout dans ses forêts qu'est son immense, son inépuisable richesse.
On compte que sur 155 millions d'acres carrés, formant à peu près la surface du Canada, 18 millions sont occupés et 7 à 8 millions cultivés.
En 1851, les nécessités de la consommation local étant satisfaites, il était resté près de 2 millions d'hectolitres de blé disponibles, sans compter le maïs, le seigle, l'orge, l'avoine, le sarrasin, les pois, les patates, dont la production est de beaucoup supérieure à la consommation.
De ces chiffres, aujourd'hui dépassés de beaucoup par le progrès de l'agriculture, il résulte que, lorsque la France est affligée d'une mauvaise récolte, elle peut compter qu'elle trouvera presque toujours au Canada, au moins une partie de l'appoint de son approvisionnement.
Le haut Canada est beaucoup plus favorisé que la province inférieure sous le rapport du climat et de la qualité des terres; le sol y est profond et riche, la plupart des fruits d'Europe y peuvent mûrir, et c'est sur cette province que s'est dirigé le flot des immigrations irlandaise, écossaise et allemande.
Le bas Canada, plus montagneux et plus froid, est moins productif; l'habitant, d'origine française, n'est pas possédé, comme le haut Canadien, de cette fièvre américaine qui le pousse sans cesse vers de nouveaux pays et de nouvelles aventures : Normand et Breton d'origine, il tient au sol et à la ferme qui lui a été léguée par ses ancêtres; il émigre peu, se fait une existence de famille suffisamment commode, et, fidèle à ses souvenirs d'origine, à sa langue et à sa religion, se défend peut-être un peu trop de cette ardeur d'innovation et de cette soif d'acquérir qui tourmente le haut Canadien, déjà fortement américanisé. Ses tendances sédentaires se modifient un peu en ce moment; elles marqueront néanmoins toujours d'un caractère très-différent les deux populations.
Il ne faudrait pas conclure de là que la misère pèse sur le bas Canadien; rien de plus propre, de plus confortable que l'habitation du paysan dans ces villages quasi-normands; l'hospitalité s'y exerce de la manière la plus aimable; il y a chez tous ces braves gens un souvenir de la vieille patrie qui est touchant, et pendant le séjour de la corvette, toutes ces populations ont voulu la visiter, disant dans leur langage naïf : Voilà nos gens revenus.
La suppression de la tenure seigneuriale, l'instruction plus répandue, l'exemple enfin du haut Canada favoriseront l'activité et le progrès de l'agriculture et du travail dans le bas Canada, où néanmoins, et, à l'encontre d'un climat très-rude, il s'est créé et se maintient une aisance très-réelle.
Pendant l'hiver, le travail d'abatage des bois se fait, et, dès que les glaces rendent la navigation et le flottage libres, ils descendent en trains immenses pour être reçus dans les dépôts (foulons) de Québec.
C'est une grande et ingénieuse opération que ce travail de descente des trains sur ces cours d'eau coupés de rapides : des espèces de canaux artificiels sont ménagés, pour faire arriver les pièces isolées dans des eaux tranquilles où se fait une première réunion en trains ou cajeux plus petits, susceptibles de descendre les slides, espèces de canaux à plans très-inclinés, placés à côté des chutes et cascades, qui ne pourraient être franchies sans compromettre à la fois les trains et les hommes qui les conduisent.
Arrivés sur les grandes nappes du Saint-Laurent, tous ces cajeux sont réunis en une immense cage (radeau) qui s'abandonne au courant, et sur laquelle vivent, quelquefois plusieurs semaines, ces intrépides mariniers.
Les terres de la Couronne sont concédées ou vendues suivant des modes différents.
Un concessionnaire peut obtenir une portion de forêt placée sur un cours d'eau, pour y exploiter les bois pendant un certain temps; il est tenu de se livrer à l'abatage immédiatement; le prix de concession est léger, mais son bois rendu à Québec paye un droit spécial par pièce, qui s'ajoute au prix constitutif de la concession. Lorsque le terme est arrivé, le sol fait retour à l'Etat; les arbres petits restés sur pied grandissent, et, au bout d'un certain nombre d'années, le même sol sera de nouveau susceptible d'une exploitation forestière. Il y a sur l'Ottawa, sur le Saint-Maurice, sur le Saguenay et autres rivières, des concessions nombreuses faites ou à faire dans ce système.
D'autres concessions sont faites à titre d'aliénation absolue pour des exploitations agricoles; les tarifs sont bas et les conditions aisées à remplir; il ne faut, pour s'établir dans ce pays, que des forces, de l'intelligence, de la sobriété et le peu d'avances nécessaires pour attendre les premiers produits. Le ministre des terres et de la couronne m'a souvent exprimé le regret que les tendances à l'émigration soient trop faibles en France, pour qu'on puisse espérer mettre à profit les facilités dont il pourrait user envers les émigrants de notre pays.
J'ai déjà exprimé plus haut le défaut capital des usines où se fabrique la farine : cette fabrication se perfectionnera facilement au Canada le jour où les chances d'exportation pour d'autres pays que les Etats-Unis se manifesteront; les habitudes ne sont pas aussi exclusivement et aussi brutalement mercantiles que dans l'Union.
Les bois ne sont pas seulement vendus au Canada à l'état brut, ils sont vendus sous forme de navires, et c'est, je pense, un des pays où les constructions navales se font le mieux et au meilleur marché.
J'ai visité plusieurs des chantiers de Québec, et j'ai eu des conférences avec plusieurs des constructeurs; le chêne, l'orme et le merisier pour le bordé des œuvres vives, le pin rouge et blanc pour le bordé des œuvres mortes, le chêne, l'orme et le tamarac pour les membrures, l'épinette rouge pour les courbe, sont les bois les plus employés.
M. Gilmour, le plus grand constructeur de Québec, ne pense pas que le bordé et les allonges en bois résineux soient une cause de moindre durée des navires; il m'a fait cette observation, confirmée par d'autres constructeurs, que le tamarac n'était pas sujet à la pourriture sèche, et remplaçait ainsi très-avantageusement le chêne dans les membrures. Il a construit ainsi plus de cent navires de 100 à 1,500 tonneaux, qui ont tous fait un service très-satisfaisant.
Le prix du tonneau varie de 300 francs pour les petits bâtiments à 180 francs pour les grands. La navigation française est chère, et c'est dans le haut prix du bâtiment qu'est une des causes de cette cherté; il serait peut-être avantageux que nos armateurs pussent acquérir plus aisément des navires canadiens; ce serait d'ailleurs un des manières de faciliter les échanges avec nos produits industriels et agricoles.