Poète et écrivain de talent, Octave Crémazie (1827-1874) termine ses études à Québec en 1844 et travaille ensuite à la librairie de son frère, avec lequel il s'associe. Ce commerce sera plus tard le lieu de rencontre de nombreux hommes de lettres; le jeune Octave s'y investit généreusement et avec compétence, ce qui lui attire une excellente réputation dans les cercles intellectuels francophones de la ville. Il commence à visiter Paris régulièrement à partir de 1853 et ce, jusqu'en 1860, mais connaît au même moment d'intenses difficultés financières qui l'obligeront à fuir le Québec et à s'établir plus ou moins secrètement en France sous le nom de Jules Fontaine. Il y dépérira lentement, non sans écrire une relation fort pertinente du siège de Paris (1871) et de la Commune. Il finira par mourir dans l'indigence au Havre.

Aux marins de la Capricieuse

Quoi! déjà nous quitter! Quoi! sur notre allégresse
Venir jeter sitôt un voile de tristesse?
De contempler souvent votre noble étendard
Nos regards s'étaient fait une douce habitude.
Et vous nous l'enlevez! Ah! quelle solitude
Va créer parmi nous ce douloureux départ!

Vous partez. Et bientôt, voguant vers la patrie,
Vos voiles salûront [sic] cette mère chérie!
On vous demandera, là-bas, si les Français
Parmi les Canadiens ont retrouvé des frères.
Dites-leur que, suivant les traces de nos pères,
Nous n'oublîrons [sic] jamais leur gloire et leurs bienfaits.

Car, pendant les longs jours où la France oublieuse
Nous laissait à nous seuls la tâche glorieuse
De défendre son nom contre un nouveau destin,
Nous avons conservé la brillant héritage
Légué par nos aïeux, pur de tout alliage,
Sans jamais rien laisser aux ronces du chemin.

Enfants abandonnés bien loin de notre mère,
On nous a vus grandir à l'ombre tutélaire
D'un pouvoir trop longtemps jaloux de sa grandeur.
Unissant leurs drapeaux, ces deux reines suprêmes
Ont maintenant chacune une part de nous-mêmes:
Albion notre foi, la France notre coeur.

Adieu, noble drapeau! Te verrons-nous encore
Déployant au soleil ta splendeur tricolore?
Emportant avec toi nos vœux et notre amour,
Tu vas sous d'autres cieux promener ta puissance.
Ah! du moins, en partant, laissez-nous l'espérance
De pouvoir, ô Français, chanter votre retour.

Ces naïfs paysans de nos jeunes campagnes,
Où vous avez revu vos antiques Bretagnes,
Au village de vous parleront bien longtemps.
Et, quand viendra l'hiver et ses longues soirées,
Des souvenirs français ces âmes altérées
Bien souvent rediront le retour de nos gens!

Comme ce vieux soldat qui chantait votre gloire
Et dont, barde inconnu, j'ai raconté l'histoire,
Sur ces mêmes remparts nous porterons nos pas;
Là, jetant nos regards sur le fleuve sonore,
Vous attendant toujours, nous redirons encore :
Ne paraissent-ils pas?

Québec, 19 août 1855.

Octave Crémazie, Œuvres complètes, Montréal, Beauchemin et Valois, 1882, p. 103-104.




« Visite [de M. de Belvèze] à un poète [M. Octave Crémazie] », Journal de Québec, 13e année, no 90, 4 août 1855, p. 1.

Le commandant de la Capricieuse, M. de Belvèze, qui savait depuis longtemps déjà le nom de l'historien du Canada, M. Garneau, et qui lui a dit, le même jour de son arrivée à Québec, quelques paroles empreintes de tant de respect et d'une si parfaite estime, s'est aussi montré profondément sensible à la belle poésie si française publiée dans le Journal de Québec de mardi dernier, que l'on doit à la muse noblement inspirée de M. Octave Crémazie. M. de Belvèze a voulu le complimenter lui-même sur ses beaux vers, en lui disant dans la visite, dont il l'honorait avant-hier au soir : « M. Crémazie, je sens le besoin de venir vous remercier et pour votre magnifique poésie et pour l'hommage si délicat que vous en avez fait aux marins de la Capricieuse. Je suis ici l'interprète de tous, et je me plais à vous dire, que vous avez fait là un beau poème aussi français par les sentiments que par la forme et le style. »