Antoine Plamondon, Le flûtiste, 1866. Huile sur toile marouflée sur contreplaqué, 55 x 43,2 cm. Musée national des beaux-arts du Québec (34.504), acquisition avant 1934. Photo © Patrick Altman.Dans « Un jeu de variantes », Mario Béland, conservateur de l'art ancien (1850-1900) au Musée national des beaux-arts du Québec, trace le chemin emprunté par le tableau de Plamondon, autant du point de vue de sa genèse propre que du point de vue de sa réception :
Comme copiste de tableaux religieux, Plamondon s'est souvent adonné au jeu des variantes comme en font foi ses différentes versions des Miracles de sainte Anne. Entre 1866 et 1868, l'artiste ne fera pas autrement dans le genre profane. En effet, Plamondon, grand amateur de musique, réalisera une composition profane originale sur le thème du flûtiste, dont il tirera au moins cinq versions assez différentes les unes des autres. Quatre d'entre elles sont ici réunies pour la première fois. Le peintre livre d'abord une petite composition verticale, datée de 1866, la version du Musée national des beaux-arts du Québec, qui cadre un adolescent coupé aux genoux, jouant de la flûte traversière, avec pour seul décor, à l'arrière-plan, un voilier et un soleil partiellement caché à l'horizon. Plamondon aura vraisemblablement eu recours à une photographie d'un garçon prise en studio, ce qui expliquerait le cadrage particulier entraînant la coupe visuelle des jambes. L'examen en vue de la restauration aura permis de découvrir un repentir dans la couleur (jaune) et l'emplacement du soleil (directement sur la ligne d'horizon) ainsi que des modifications dans la position des cuisses, de l'épaule droite et de l'extrémité de la flûte. Ces multiples changements permettent de confirmer qu'il s'agit bien de la première des cinq versions du Flûtiste. Notre version sera suivie par le tableau horizontal de Power Corporation du Canada montrant le même personnage dans la même pose, mais désormais doté de jambes carrément disproportionnées. Éclairé à contre-jour par un ciel flamboyant, le jeune homme se dresse ici sur une grosse roche solitaire, posée sur une grève fantaisiste; sur le cours d'eau, pas moins de trois navires vaguement esquissés viennent compléter l'ensemble. Tout laisse croire que, dans la foulée d'une composition originale comportant des repentirs, l'artiste aura voulu pousser ses avantages en optant pour une mise en scène plus ambitieuse qui se sera, au final, révélée plus relâchée et moins bien construite.
Les deux autres versions, de format nettement plus grand, présentent toujours le même adolescent coupé à mi-cuisses, cadré de façon encore beaucoup plus serrée que dans la première version, et occupant, de ce fait, presque toute la surface du tableau. Celle du Musée des beaux-arts du Canada, signée en 1867, place le flûtiste contre un fond uni tandis que l'autre, datée de l'année suivante, campe de nouveau le musicien devant un plan d'eau avec, dans ce cas-ci, deux navires, le soleil voilé à l'horizon et, nouvel élément, une tourte au premier plan, à gauche. Notons enfin qu'une cinquième et dernière variante non retracée, datée aussi de 1868 et de format presque carré, montre cette fois le joueur de flûte assis sur une chaise, dans un intérieur dépouillé.
Suivant certaines traditions historiographiques, le Flûtiste du Musée national des beaux-arts du Québec serait une œuvre réalisée en 1855 et représentant Siméon Alary, l'assistant de Plamondon, au lever du jour en train de donner une sérénade aux marins du bâtiment militaire français La Capricieuse, alors à l'ancre devant Neuville. À la suite de critiques, le tableau aurait été modifié et coupé par le bas en 1866, d'où la nouvelle date. Si l'examen approfondi du tableau va totalement à l'encontre de cette dernière allégation, il est plausible que le protagoniste de la scène soit bel et bien Alary, à l'emploi de l'artiste durant une douzaine d'année. Sa présence chez le peintre de Neuville est d'ailleurs mentionnée dans le recensement de 1871, comme étudiant en peinture âgé de 21 ans, ce qui tend à confirmer l'identification de l'adolescent dans la version de 1866, Siméon ayant alors une quinzaine d'années.
Quant à l'assertion suivant laquelle c'est La Capricieuse qui apparaîtrait à l'arrière-plan du tableau de 1866, elle ne tient ni la route ni le cap! Rappelons que ce bâtiment fut, en 1855, le premier navire de guerre français à mouiller dans le fleuve Saint-Laurent depuis la Conquête. Pour mémoire, il s'agissait d'un pur voilier, plus précisément une corvette de 1re classe à trois mâts, un type de bâtiment qui n'a rien à voir avec celui que peint Plamondon. Aucun lien non plus entre ce dernier et l'Admiral, un vapeur à deux mâts que l'équipage de La Capricieuse emprunta pour remonter jusqu'à Montréal en juillet 1855 laissant la corvette à Québec. Faut-il ajouter, pour convaincre les sceptiques, que le navire qui figure sur la version de 1866 est un bâtiment à trois mâts à propulsion mixte, c'est-à-dire fonctionnant aussi bien à la voile qu'à la vapeur, comme en fait foi la tache rouge de la cheminée entre le mât de misaine et le grand mât! Rappelons encore que les deuxième et dernière versions comportent jusqu'à trois navires guère plus identifiés et ne correspondant pas davantage à La Capricieuse ou à l'Admiral. Enfin, nous dira-t-on pourquoi Plamondon, qui n'a jamais relaté d'événements québécois contemporains dans ses tableaux - au contraire d'un Légaré ou d'un Hamel -, aurait voulu souligner le passage de La Capricieuse avec un décalage de onze ans? À l'évidence, les amateurs d'histoire en mal d'illustrations pittoresques devront faire leur deuil de la prétendue contribution de Plamondon à la légende de La Capricieuse!
Enfin, une autre tradition voudrait que la version du MBAC, signée avec la mention « Québec, Canada », corresponde au « Tableau de genre » de Plamondon inscrit au catalogue de l'Exposition universelle de 1867 à Paris, tableau qui aurait par ailleurs remporté une mention honorable lors de l'événement. Or, contrairement aux œuvres de Théophile Hamel ou de Napoléon Bourassa également exposées dans la section canadienne, aucune peinture de Plamondon n'est mentionnée dans les articles de journaux, listes et rapports canadiens publiés lors de l'exposition de 1867. Vraisemblablement, la mention « Québec, Canada » ferait plutôt référence à la création de la nouvelle province et à l'avènement, cette année-là, de la Confédération.
Quoi qu'il en soit, l'évolution du thème du Flûtiste rend bien compte des hésitations de l'artiste en 1866, avec ses nombreuses maladresses de perspective, de raccourcis et de proportions, qui, en 1867 et 1868, feront place à une composition plus achevée dans la mise en scène générale du modèle. La lumière dramatique de l'aurore, avec ses effets de coloris exacerbés sur le paysage et le personnage longiligne, se trouvera ultimement adoucie dans un éclairage diffus et neutre de décor intérieur pour la version du Musée des beaux-arts du Canada, que l'on doit considérer comme la plus aboutie. En somme, nous serons passés d'une scène romanesque et anecdotique à une composition dépouillée relevant davantage de l'art du portrait que de la scène de genre. |
Mario Béland, « Un jeu de variantes », dans John R. Porter et Mario Béland, Antoine Plamondon (1804-1895). Jalons d'un parcours artistique, Québec, Musée national des beaux-arts du Québec, à paraître.
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