Une bibliothécaire consulte un livre ancien en langue autochtone
La bibliothécaire Isabelle Robitaille consulte l'ouvrage Nehiro-iriniui de Jean Baptiste de La Brosse
Photo : Michel Legendre

Des livres anciens en langues autochtones

Depuis 2018, BAnQ numérique diffuse un ensemble de livres anciens en langues autochtones. Inscrits au Registre de la Mémoire du monde du Canada, ces ouvrages contiennent des traces du patrimoine linguistique et culturel des Premiers Peuples du Québec.

Histoire du Québec Peuples autochtones Livres et imprimés anciens

Ces livres sont généralement de petit format, avec une reliure sobre, une composition typographique dépouillée et un papier fragile. S’ils sont exceptionnels, ce n’est pas tant pour leur apparence, mais plutôt pour la langue dans laquelle ils sont rédigés, soit l’une ou l’autre des nombreuses langues autochtones parlées sur le territoire québécois. Trois grandes familles linguistiques sont ainsi représentées dans ce corpus : des langues iroquoiennes (iroquois, huron-wendat, mohawk, onontagué), des langues algonquiennes (algonquin, abénaquis, cri, innu-montagnais, micmac, nipissing, ojibwé) et des langues inuites (inuktitut).

Des livres pour quel usage?

Ces ouvrages sont d’autant plus précieux qu’ils conservent des traces d’une culture essentiellement orale. Ils permettent de documenter l’histoire des relations et des communications entre les Peuples autochtones et les communautés d’origine européenne qui ont séjourné ou qui se sont installées au Québec. Si on exclut quelques rares manuscrits dispersés sur le continent, ce sont les ouvrages les plus anciens à renseigner sur le vocabulaire et la grammaire en usage chez les Premiers Peuples. L’ensemble comprend une variété de documents qui témoignent des échanges de connaissances linguistiques entre Européens et Autochtones; ce sont des abécédaires, des syllabaires, des grammaires, des dictionnaires, des lexiques, des livres de lecture et d’autres manuels.

Puisque les missionnaires comptent parmi ceux qui se sont le plus investis dans la publication de ce type d’ouvrages, on trouve dans cet ensemble de nombreux livres pieux et des textes bibliques traduits pour favoriser l’évangélisation des Peuples autochtones (catéchismes, livres de prières, bibles, histoires saintes, chants grégoriens, etc.). 


Instruments du colonialisme, ces livres sont les témoins ambigus d’un impérialisme culturel et idéologique sur lequel reposait la colonisation européenne. Quelques indices laissent tout de même croire que certains documents furent publiés pour assurer la pérennité des langues autochtones concernées.

Qui sont les auteurs de ces livres?

Les ouvrages les plus anciens ne sont pas entièrement rédigés en langues autochtones, mais comprennent des lexiques consignés par des Européens (Jacques Cartier, Samuel de Champlain, Gabriel Sagard, le baron de Lahontan, etc.) qui ont souhaité communiquer avec les occupants du territoire. Ce sont surtout des missionnaires qui ont contribué à créer des œuvres en langues autochtones. Les Récollets ont été les premiers à compiler des dictionnaires à leur arrivée en 1615, suivis des Jésuites. Le récollet Gabriel Sagard incorpore un Dictionnaire de la langue huronne dans Le grand voyage du pays des Hurons et le père jésuite Paul Le Jeune consacre une section à la langue innue dans la Relation de ce qui s’est passé en la Nouvelle France, en l’année 1634.

Jean Baptiste de La Brosse, Nehiro-iriniui […], [Québec], Brown et Gilmore, 1767.

Les premiers livres imprimés entièrement en langues autochtones sur le territoire québécois sont publiés plus tardivement par les pionniers de l’imprimerie au Québec. Les plus anciens sont ceux du missionnaire jésuite Jean-Baptiste de La Brosse. Dès son arrivée au Canada, en 1766, celui-ci innove par rapport à ses prédécesseurs en produisant des ouvrages destinés non seulement aux missionnaires, mais aussi aux nations innues et abénaquises. En 1767, il fait imprimer à Québec un premier catéchisme entièrement en langue innue, trois ans seulement après les débuts de l’imprimerie dans la colonie. Imprimé à plusieurs centaines d’exemplaires, ce manuel était destiné aux communautés innues de la Côte-Nord, où le père La Brosse œuvrait comme missionnaire. Son livre est une copie presque identique d’un ouvrage demeuré manuscrit du père Pierre-Michel Laure, également missionnaire.
 

D’autres ouvrages sont ensuite parus en diverses langues, selon les peuples que ciblaient les communautés religieuses. Parmi les prêtres et missionnaires lexicographes particulièrement actifs en ce domaine, on retient les noms de : 

  • Jean Claude Mathevet, prêtre sulpicien parmi les Iroquois et les Algonquins à la mission du Lac-des-Deux-Montagnes. 
  • François Picquet, prêtre sulpicien chez les Iroquois.
  • Joseph Marcoux, prêtre missionnaire surnommé Tharoniakanere (« celui qui regarde le ciel »). Missionnaire chez les Iroquois, il rédige de nombreux ouvrages religieux en iroquois, entre autres un catéchisme, un livre de prières, un volume de chants grégoriens avec paroles iroquoises, une traduction d’une biographie de Kateri Tekakouitha, etc. Sa correspondance avec des chefs iroquois de la mission du Lac-des-Deux-Montagnes est publiée après sa mort.
  • L’abbé Cuoq, prêtre sulpicien à la mission du Lac-des-Deux-Montagnes. Celui-ci signe ses écrits des lettres « N. O. », d’après les surnoms donnés par les Nipissing (Nij-kive-nato-anibic, qui veut dire « feuille double ») et par les Iroquois (Orakwanentakon, qui veut dire « étoile fixe »). En 1864, il se porte à la défense des langues autochtones et publie à Montréal un ouvrage intitulé Jugement erroné de M. Ernest Renan sur les langues sauvages. On peut y lire tout l’attachement du missionnaire envers les langues autochtones : « Et que dirait M. Renan, si on lui montrait, non pas seulement une race sauvage, mais plusieurs races sauvages parlant une langue au moins aussi belle que n’importe quelle langue sémitique ou indo-européenne ? »
     

Ces ouvrages ont été préparés par plusieurs auteurs d’origine européenne, mais ils sont aussi l’œuvre de personnes autochtones, malheureusement souvent demeurées anonymes, qui ont participé à la traduction des textes. Il y a néanmoins dans le corpus au moins six ouvrages explicitement réalisés par des Autochtones :

D’où proviennent ces ouvrages?

Une partie importante des ouvrages provient des prêtres sulpiciens. En effet, le noyau de la collection de livres anciens de BAnQ a été constitué à Montréal par des membres de la Compagnie de Saint-Sulpice. Jusqu’à l’abolition du régime seigneurial, cette communauté religieuse possédait plusieurs seigneuries, notamment celle de l’île de Montréal et celle du Lac-des-Deux-Montagnes, où vivaient en majorité des Iroquois (Haudenosaunee), mais aussi des Algonquins.
 

Plusieurs autres livres du corpus proviennent de la collection de Philéas Gagnon, notable canadien ayant recueilli un nombre impressionnant d’ouvrages en lien avec l’histoire canadienne, notamment plusieurs livres en langues autochtones. 
 

Parmi l’ensemble inscrit au Registre de la Mémoire du monde du Canada, trois ouvrages semblent uniques :

  • un calendrier innu du père jésuite Jean-Baptiste de La Brosse, publié chez les éditeurs Brown et Gilmore en 1776. Les calendriers sont des documents imprimés éphémères qui sont généralement détruits une fois l’année passée;
  • du même missionnaire, un abécédaire abénaquis publié également à Québec chez Brown et Gilmore, en 1770;
  • un recueil de chants grégoriens avec paroles en innu (Nikamuina, publié à Québec en 1817).

D’autres titres sont également très rares, par exemple :

Alphabet mikmaque, Québec, C. Le François, 1817.

Des vecteurs de connaissances culturelles et linguistiques

On peut sans doute avancer que ces livres ont été porteurs de valeurs sociales et spirituelles diffusées au sein des Peuples autochtones qu’on tentait de convertir. En retour, grâce à ces livres, plusieurs missionnaires et colons d’origine européenne ont pu mieux connaître les cultures autochtones. Ces documents furent donc des vecteurs non seulement de connaissances linguistiques, mais également d’éléments culturels de part et d'autre. 

Cet article est une version révisée d’un texte publié dans le blogue Carnet de la Bibliothèque nationale le 28 novembre 2019.

Avis
Certains documents présentés ici contiennent des termes qui pourraient offenser la personne qui les lit. Ces termes ont été utilisés par les auteurs de l'époque et ne représentent pas les valeurs véhiculées par Bibliothèque et Archives nationales du Québec.