Depuis plus de deux siècles, voter au Québec est un droit fondamental de tout citoyen admissible. En 1791, l’Acte constitutionnel, qui divise la province de Québec en Bas-Canada et Haut-Canada, introduit également le parlementarisme britannique. Dès le printemps suivant, la première campagne électorale est en marche.
En 1792, pour avoir droit de vote, un électeur doit avoir 21 ans ou plus et être sujet britannique. Le cens électoral fixé par la loi doit également être satisfait, c’est-à-dire que l’électeur doit être propriétaire de biens ruraux produisant un revenu annuel de 40 shillings sterling en plus des redevances ou d’une habitation en ville qui assure un revenu de 5 livres sterling. Le locataire urbain ayant payé au cours des 12 derniers mois un loyer au taux minimum de 10 livres sterling est également admissible. Selon les dispositions de la loi, chaque district électoral dispose d’un ou deux sièges et doit donc élire un nombre de députés conséquent. C’est pourquoi une personne peut être amenée à voter plus d’une fois. Le vote se fait à main levée, en public. Un officier rapporteur doit s’assurer de la bonne marche de l’élection. Le vote n’a pas lieu à la même date dans tous les comtés et les élections durent plusieurs semaines. Aucune liste électorale n’existe.
1. Les cahiers de scrutin (1800-1874)
Ce n’est qu’en 1800 qu’une véritable loi électorale définit clairement le déroulement des élections et les circonstances où la rédaction d’un cahier ou registre de scrutin est nécessaire.
Le scrutin a lieu de 8 h à 18 h et dure un maximum de quatre jours; s’il s’écoule plus d’une heure sans qu’un électeur se présente, l’officier rapporteur, à la demande de trois électeurs, peut fermer le bureau de vote et déclarer l’élection terminée.
Tout candidat peut exiger de l’électeur un serment attestant son droit de voter. Si tous les candidats sont du même avis, l’officier rapporteur a le pouvoir de disqualifier un électeur; par contre, en cas de divergence de vues, l’officier rapporteur accole au nom de l’électeur dans le cahier de scrutin le mot « objecté » et indique la cause et le responsable de l’objection.
Ces dispositions de la première loi électorale ont régi les élections jusqu’en 1875; elles n’ont été que partiellement modifiées par les lois de 1807, de 1822 et de 1825.
En 1825, l’officier rapporteur se voit contraint officiellement de déposer, après une élection, son cahier de scrutin au Bureau du protonotaire de la Cour du Banc du Roi du district où se tenait l’élection. De même, le type de serment administré à un électeur doit maintenant être spécifié dans le cahier de scrutin.
En 1849, la confection de cahiers de scrutin demeure mais, trait marquant d’une nouvelle législation, des dispositions exigent pour la première fois au Québec la confection de listes électorales. Les secrétaires-trésoriers des municipalités doivent dresser des listes alphabétiques des électeurs, en partant du rôle d'évaluation.
La loi électorale provinciale de 1875, qui jette les bases des campagnes électorales modernes, introduit le scrutin secret déjà en vigueur en Grande-Bretagne depuis 1873 et au niveau fédéral depuis 1874. C’est la fin des cahiers de scrutin.
2. L'intérêt des cahiers de scrutin pour les chercheurs
Les cahiers de scrutin offrent un fort potentiel pour une grande variété de chercheurs, qu’ils soient généalogistes ou spécialistes en histoire sociale. Ils peuvent servir à connaître les métiers des électeurs et le lieu où une personne ayant voté possède un bien ou est locataire ou à faire une étude sur les comportements de l’électorat. La place des femmes, des Amérindiens et des groupes ethniques ou socioprofessionnels peut ainsi être mesurée. Les chercheurs Fernand Ouellet, Nathalie Picard, David De Brou, Christian Dessureault et Renaud Séguin ont, de fait, su les exploiter avec succès.1
Plusieurs cahiers de scrutin sont conservés à BAnQ Québec (E4, contenants 1960-01-483\722 à 762), soit ceux des districts électoraux situés principalement dans la région de Québec et dans l’est du Québec : Comté de Québec (1827, 1833, 1834), Basse-Ville de Québec (1832), Haute-Ville de Québec (1814, 1824, 1827, 1829, 1834, 1836), Bedford (1822, 1824), L’Islet (1830), Northumberland (1827), Rimouski (1832, 1834), Mégantic (1832, 1834), Beauce (1834, 1835), Bellechasse (1834), Devon (1827), Montmorency (1830, 1832, 1834, 1836), Orléans (1824, 1834), Saguenay (1832, 1833, 1834, 1836), Dorchester (1824, 1827, 1830, 1832, 1834, 1841), Lotbinière (1830, 1841), Hampshire (1826, 1827). Tous les cahiers disponibles sur microfilm (M46/1 et 2) ont été intégrés dans la présente base de données à l’exception des deux cahiers du district de Bedford (Vallée du Richelieu), situé dans la région de Montréal. Le fonds Famille Langevin (P134) contient deux cahiers de scrutin pour le comté de Dorchester (1857, 1858).
À BAnQ Vieux-Montréal (TL19,S41,D1 à TL19,S41,D51), on trouve les cahiers de scrutin de Beauharnois (1834), Bedford (1827), Berthier (1830, 1834, 1841), Deux-Montagnes (1830, 1832, 1841), Huntingdon (1824, 1827), L’Acadie (1834), Leinster (1827, 1834), Missisquoi (1829, 1834, 1841), Montréal Quartier Est (1820, 1824, 1827, 1832, 1834), Montréal Quartier Ouest (1824, 1827, 1832, 1834), Montréal Quartier Saint-Laurent (1824, 1827, 1830), Ottawa (1834, 1841, 1842), Richelieu (1824, 1832, 1841), Rouville (1832, 1833, 1842), Saint-Hyacinthe (1830), Shefford (1834, 1841), Stanstead (1829), Terrebonne (1830), Vaudreuil (1831), Warwick (1824, 1827), William Henry (Sorel) (1824, 1827, 1834), York (1824). Quelques cahiers de scrutin sont également en possession de Bibliothèque et Archives Canada (RG 4, B 72), soit pour le comté de Québec (1804, 1817, 1820, 1827) et le bourg de William Henry (Sorel) (1827).
3. Une base de données sur les cahiers de scrutin de la région de Québec et de l'est du Québec, 1814-1841
La présente base de données contient 39 008 mentions de personnes ayant voté provenant de 40 cahiers de scrutin tenus sur le territoire de la région de Québec et de l’est du Québec entre 1814 et 1841. Si l’on exclut les districts électoraux de Kamouraska, de Gaspé et de Bonaventure où aucun cahier de scrutin n’a été conservé, tout ce territoire est couvert par au moins un cahier de scrutin. Notons que le nom d’un même individu peut revenir à plusieurs reprises dans la base de données, des élections différentes ou des propriétés dans plus d’un district lui permettant de voter plus d’une fois.
Puisque la forme des contenus peut varier d’un cahier à l’autre – langue des documents, abréviations, variantes orthographiques –, il a été jugé pertinent de normaliser certaines entrées. Les noms, prénoms, professions et lieux où les qualifications (Biens ou loyer servant à satisfaire le cens électoral) sont situés ont été relevés tels qu’ils apparaissent mais, entre crochets, une mention au long, traduite en français ou normalisée a été ajoutée. Il devient ainsi plus facile de repérer les informations recherchées. Par exemple :
La base de données peut servir à retracer un individu ou à reconstituer en partie des groupes socioprofessionnels. On y trouve des jardiniers, des horlogers, des imprimeurs et même un ramancheur (bonesetter)! Les femmes ont pu voter jusqu’en 1849 et, de fait, on les trouve dans les cahiers de scrutin mais en petit nombre. Il en est de même des Amérindiens, essentiellement des résidents de Wendake.
Remerciements
Le travail de saisie a été réalisé avec patience et rigueur par Claudette Laberge et son mari, Raymond Blanchette, deux bénévoles infatigables.
Rénald Lessard
Archiviste-coordonnateur
1 En 2005, Renaud Séguin, étudiant au doctorat en histoire, a, lui aussi, souligné l’intérêt de cette source. Renaud Séguin, « Pour une nouvelle synthèse sur les processus électoraux du XIXe siècle québécois », Revue de la Société historique du Canada, nouvelle série, vol. 16 (2005), p. 75-100. Voir aussi David De Brou, « The Rose, the Shamrock and the Cabbage: The Battle for Irish Voters in Upper-Town Quebec, 1827-1836 », Histoire sociale – Social History, XXIV, no 48 (novembre 1991), p. 305-334.