Inventaire des papiers terriers seigneuriaux, 1654-1854
Le régime seigneurial
Deux modes principaux distribution et d'occupation des terres sont en vigueur au Québec depuis plus de trois siècles : les seigneuries implantées par les Français dès le XVIIe siècle et les cantons mis en place par les Britanniques à la fin du XVIIIe siècle dans les territoires autour des seigneuries. 225 seigneuries furent accordées sous le régime français, 8 sous le régime anglais. Elles sont de taille variable et se répartissent le long du Saint-Laurent et de ses principaux tributaires, en Acadie et même dans l’État de New York autour du lac Champlain. Les seigneurs peuvent être des individus ou des communautés religieuses ou encore le roi. Ainsi, une partie de la ville de Québec – la censive du roi – est gérée par les représentants du monarque.
Obtenir une seigneurie est un objet de prestige mais cela peut également servir à récompenser les services fournis au roi par un individu ou à fournir à une communauté religieuse des moyens facilitant la réalisation de sa mission.
Le seigneur avait l'obligation de promettre fidélité et de rendre foi et hommage pour les biens reçus. Le seigneur est tenu, à la demande de l'intendant, de présenter un aveu et dénombrement de sa seigneurie contenant une déclaration des titres et une description de chacune des terres qu'il a concédées. Cette description doit donner les noms des censitaires, la localisation et l'étendue des terres, les bâtiments érigés, l’état ce qui est mis en valeur, et les sommes à verser pour cens et rentes. En cas de mutation, il verse au roi le droit de quint, une taxe équivalente au cinquième de la valeur du fief.
Le seigneur se doit de concéder des terres à ceux qui en demandent, de faire construire un moulin à farine et d’établir des routes. En échange, le censitaire, c’est-à-dire la personne ayant obtenu une terre ou un emplacement d’un seigneur, est astreint à diverses obligations : tenir feu et lieu, payer des redevances annuelles (cens et rentes) et des droits de mutation (lods et ventes), recourir au moulin banal ou fournir des journées de corvée.
Les papiers terriers seigneuriaux légaux
Pour gérer et exploiter les centaines de milliers d'hectares que comporte la zone seigneuriale, les seigneurs se devaient d'avoir des outils légaux pour légitimer et appuyer leurs droits. Et parmi les moyens que l'État met à leur disposition, nous retrouvons les papiers terriers légaux. Du XVIIe siècle jusqu'à l'abolition du régime seigneurial en 1854, plusieurs centaines de terriers ont été produits.
Au sens légal et pour reprendre la définition du juriste Guyot, « un terrier ou papier terrier est un registre contenant le dénombrement des déclarations des particuliers qui relèvent d'une seigneurie et le détail des droits, cens et rentes qui y sont dus ». Chaque censitaire doit se présenter devant le notaire commis par le seigneur et lui déclarer les terres qu'il possède dans la seigneurie concernée. Signée par le notaire, le censitaire et le seigneur, cette déclaration a valeur légale et peut servir de titre nouvel qui remplace un autre titre nouvel, un titre primitif ou un billet de concession qui peut être perdu. Un papier terrier est donc un ensemble de documents qui confirme les droits et devoirs réciproques des censitaires et des seigneurs. Il faut souligner que les frais de confection du terrier relèvent du censitaire.
Au XIXe siècle, les déclarations des censitaires sont généralement des formulaires imprimés reliés en registre avec ou sans index ou encore de minutes séparées que l'on retrouve généralement à l'intérieur du greffe du notaire chargé de la confection du papier terrier. Les déclarations ou reconnaissances permettent généralement l'émission de titres nouvels. Des plans peuvent également accompagner le processus de confection d'un papier terrier.
Contenu des déclarations
Le contenu des déclarations est assez uniforme au 19e siècle. Elle débute par une présentation des parties en présence: noms, métiers et lieux de résidence. S'ensuit une référence aux lettres de terrier qui autorise la confection du terrier. On retrouve par la suite la description des parcelles: dimensions, localisation, bornes et titres de propriétés. Cette partie est essentielle. Les références aux actes antérieurs sont généralement précises et remontent dans plusieurs cas jusqu'à l'acte de concession. Il y a là un fort potentiel pour l'étude de l'évolution de la propriété foncière. Dans une minorité de cas, la déclaration du censitaire peut contenir un état du développement des parcelles : bâtiments, arpents de terre en culture. Par la suite le notaire énumère les droits et les devoirs des censitaires en principe conforme aux actes de concession. Dans plusieurs cas, le montant des arrérages relatifs aux droits seigneuriaux est indiqué. En signant sa déclaration, le censitaire peut ainsi être amené à signer l'équivalent d'une reconnaissance de dettes. Enfin, les parties signent le document.
Les lettres de terrier
Pour confectionner un terrier légal, il faut obtenir des lettres en chancellerie qu'on appelle généralement des lettres de terrier. Elles sont émises par l'État au nom du roi et elles donnent au seigneur le pouvoir de contraindre ses censitaires à faire devant le notaire choisi par lui une déclaration ou reconnaissance des propriétés qui relèvent de lui. Durant le régime français, l'intendant émet des lettres de terrier. Par la suite, le gouverneur prend la relève.
Pour obtenir des lettres de terrier, les seigneurs doivent justifier leur demande. Ainsi, en 1844, les trois propriétaires de la seigneurie de Vaudreuil en Beauce notent qu'un terrier n'a jamais été renouvelé depuis leurs concessions originaires et que plusieurs des titres des censitaires sont perdus. En conséquence, les seigneurs se trouveraient exposés à de grandes difficultés pour la perception des rentes. En 1853, les seigneurs de Vincelotte précisent que le terrier de leur seigneurie a été fait il y a plus de trente ans et que la multiplicité des mutations d'héritages rend ce terrier insuffisant pour la conservation et le recouvrement des droits seigneuriaux. Il faut également noter que dans plusieurs cas, la requête survient après un changement de seigneurs.
Avant d'émettre des lettres de terrier, le gouvernement s'assure de la validité des titres et des droits qui pourraient être dus à la Couronne. Une fois émises, les lettres de terrier doivent être entériner par une cour de justice. A l'intérieur de cet acte, l'on retrouve, entre autres, le nom du notaire commis par le seigneur pour confectionner le papiers terrier. Certains notaires, comme Jean-Baptiste Taché, développent une spécialité dans la confection de ce type de document.
Un avertissement officiel est ensuite donné aux censitaires de se conformer aux lettres de terrier et de se présenter devant le notaire choisi par le seigneur. Les censitaires récalcitrants peuvent être poursuivis en justice.
Entre 1801 et 1854, 183 lettres de terrier émises touchant 209 seigneuries ou portions de seigneuries. Toutefois, puisqu'une même seigneurie peut faire l'objet de plus d'un terrier, le nombre réel des seigneuries touchées est beaucoup moindre. En fait, sur un peu plus de deux cents seigneuries concédées dans la province de Québec, un peu plus de la moitié sont concernées par des lettres de terrier. Lorsqu'on regarde attentivement les seigneuries sans terrier légal, il est facile de constater qu'il s'agit généralement de seigneuries peu peuplées, souvent situées en périphérie (Gaspésie) ou de petits fiefs urbains.
Tous les types de seigneurs peuvent faire confectionner des terriers légaux. On retrouve des communautés religieuses, des marchands britanniques et francophones, des seigneurs issus de la noblesse, des militaires. Bref, les caractéristiques intrinsèques des seigneuries semblent plus significatives. La taille d'abord. Les frais importants liés à la confection d'un papier terrier ne peuvent se justifier que s'il y a un minimum de population.
La confection des papiers terriers légaux bénéficient de la prise de possession, en 1800, des biens des Jésuites. Cet ensemble de seigneuries importantes bien peuplées nécessitait une gestion minutieuse. Or, les dernières années du 18e siècle ont été marquées par la disparition progressive des derniers Jésuites et la gestion de leurs propriétés ne semble pas être marquée sous le sceau de la rigueur. En 1800, à la suite de la mort du dernier Jésuite, le gouverneur britannique prenait le contrôle des biens des Jésuites et créait une commission chargée de l'administration de ceux-ci. Parallèlement, la Couronne gérait depuis la Conquête les propriétés relevant du Domaine du roi. Dans les deux cas, un effort de gestion s'imposait. En 1801, on désigna une commission spéciale chargée d'élaborer un «terrier» du Domaine du roi et de recueillir les différentes redevances échues. A la tête de cette commission on nomma Philippe de Rocheblave et Joseph B. Planté et ce dernier fut nommé inspecteur du Domaine de Sa Majesté. Les entreprises visant à établir des terriers rénovés touchant les propriétés de la Couronne semblent servir de modèle. D'ailleurs, avant 1816, seulement trois seigneurs laïcs procèdent à la confection de terriers légaux. Après cette date, le phénomène s'accélère, culmine dans la décennie 1820, régresse un peu durant la période troublée des années 1830 et reprend avec force dans les années 1840.
Un outil important de la gestion seigneuriale.
Faire exécuter un papier terrier légal, c'est s'assurer que les habitants auront l'obligation de se présenter devant le notaire pour montrer leurs titres et qu'ils le feront à leurs frais. La confection d'un papier terrier permet de dresser un portrait d'une seigneurie, surtout s'il y a un nouveau seigneur ou un morcellement de la seigneurie, et de mettre de l'ordre dans les droits et devoirs du seigneur. Un papier terrier sert également à établir les droits seigneuriaux dus et constater les arrérages au niveau des cens et rentes. En août 1815, les commissaires chargés de l'administration des Biens des Jésuites se rendent compte qui leur est impossible d'établir avec précision les rentes dues par les habitants et proposent la confection d'un terrier.
Certains seigneurs profitent de l'occasion de la confection d'un terrier pour augmenter le montant des redevances seigneuriales. C'est du moins l'accusation que lance en 1855 le député du comté de l'Islet C.-F. Fournier contre le seigneur Casgrain et c’est ce que faisait dès 1791 le seigneur Drapeau.
Le papier terrier permet de constater les arrérages au niveau des lods et ventes. C'est pourquoi les mentions des titres antérieurs prennent une valeur significative.
Les lacunes de cette source:
Retracer où se trouve une propriété foncière
Dans le cadre de la recherche d’une chaîne de titres, retracer à quelle seigneurie ou à quel canton relève une propriété foncière est aujourd’hui facilité par la carte interactive offert gratuitement sur le site du Greffe de l'arpenteur général du Québec. Elle permet de naviguer de manière intuitive sur le territoire (https://appli.mern.gouv.qc.ca/Gagq/Info/CommentAcceder).
La base de données
Afin de faciliter la confection de chaînes de titres en zone seigneuriale avant l'ouverture des bureaux d'enregistrement, le recours aux papiers terriers seigneuriaux peut être très utile. C’est ce qui avait incité l’archéologue Michel Gaumond à noter les références aux terriers qu’il rencontrait. Il nous a fait part de sa liste. En 1997, Madame Louise Contant, alors étudiante au certificat en archivistique à l'Université Laval, entreprit lors de son stage puis bénévolement par la suite à recenser tous les documents antérieurs au cadastre abrégé permettant de connaître les titres de propriétés d'un groupe de terres ou d'emplacements et relever, le cas échéant, les documents cartographiques complémentaires. Sont alors inclus dans cette recension tous les papiers terriers légaux autorisés par des lettres de terrier, les aveux et dénombrements du XVIIe siècle qui mentionnent les titres de propriété des terres depuis la concession, les terriers confectionnés par les seigneurs pour leur propre gestion et les censiers portant des indications de titres de propriété.
Le dépouillement des 183 lettres de terrier émises entre 1801 et 1854 touchant 209 seigneuries ou portions de seigneuries nous permit connaître les seigneurs ayant théoriquement fait procéder à la confection d'un papier terrier et la date approximative de cette confection. Les lettres de terrier se trouvent dans le fonds RG 68 Registraire conservé par Bibliothèque et Archives Canada. Cette source nous fournit les dates de confection potentielle des terriers, les seigneuries concernées et leurs propriétaires. Toutefois, le nom du notaire chargé de la confection du terrier n'est pas indiqué. Il se trouve dans les actes d’entérinement des lettres de terrier par les cours de justice. Toutefois, ces documents sont difficiles à retracer.
En 2003, 238 références étaient déjà compilées : description des documents relevés par Michel Gaumond ou que nous connaissions, dépouillement des lettres de terrier, recours à la banque de données Parchemin, dépouillement de tous les répertoires de notaire disponibles au centre de Québec de BAnQ ayant pratiqué durant la période allant de 1800 à 1854 et, enfin, dépouillement des fonds susceptibles de contenir des terriers ou des documents similaires ou complémentaires.
La base de données comprend maintenant 437 références s’échelonnant entre 1654 et 1854. Environ les deux tiers des terriers seigneuriaux légaux ont été retracés pour l'ensemble de la vallée du Saint-Laurent. Si vous connaissez l’existence de papiers terriers non inclus dans la base, veuillez nous aviser à archives.quebec@banq.qc.ca. Merci.