Immigration britannique dans les environs de Québec, 1817-1823, d’après un rapport de 1824 : les établissements du lac de Beauport, de Stoneham, de Valcartier, de Saint-Patrice et de Portneuf
Présentation
La base de données
Cette base de données comprend 178 entrées qui proviennent du rapport « Nouveaux établissemens du lac de Beauport, de Stoneham, Valcartier, St. Patrice et Portneuf. Tables statistiques », Appendices du XXXIIIe volume des Journaux de la Chambre d’assemblée de la province du Bas-Canada, Québec, Impr. du Roi, 1824. Plus précisément, il s’agit de l’appendice R, Septième rapport du Comité spécial sur la partie de la harangue du Gouverneur en chef à l’ouverture de la session de la Législature le 16 décembre 1820, en lien avec l’établissement des Terres de la Couronne, 3 février 1824, p. R-79 à R-80. Ce document est disponible en ligne gratuitement sur le site Canadiana, images 205, 206 et 207.
Les informations suivantes ont été retenues : lieu, nom, prénom, âge du chef de famille, nombre de personnes – hommes et femmes, année d’établissement, arpents en culture. Le recensement de 1825 est un complément intéressant au rapport de 1824.
Des témoignages de 1829 ont été inclus, intégralement ou partiellement, dans la base de données. Ces témoignages proviennent du « Reports of the special committee to whom was referred that part of the Speech of His Excellency the Administration of the Government at the opening of the Second Session of the Thirteenth Provincial Parliament of Lower-Canada, relating to Roads and other Internal Communications, and other references, with power to report from time to time », Appendice du XXXVIIIe volume des Journaux de la Chambre d’assemblée de la province du Bas-Canada, deuxième session du treizième Parlement provincial, session 1828-29, Québec, Neilson & Cowan, 1829, appendice P, p. PP-65 à PP-69, disponible aussi sur le site Canadiana, images 397 à 401.
L’arrivée des immigrants britanniques au Bas-Canada
Un contexte difficile en Europe
La fin des guerres napoléoniennes et le retour de la paix en 1815 marquent le début d’une période de difficultés économiques et sociales en Grande-Bretagne. Le licenciement des soldats et la baisse des commandes militaires se traduisent, en particulier, par une hausse du chômage, une baisse des prix et un mécontentement généralisé. Des dizaines de milliers d’habitants de l’Irlande, de l’Écosse et de l’Angleterre choisissent alors d’émigrer vers les colonies britanniques d’Amérique du Nord, en quête d’une vie meilleure. Entre 1816 et 1823, 70 942 immigrants arrivent par le port de Québec. Ils peuvent alors choisir entre le Bas-Canada (le Québec actuel), le Haut-Canada (aujourd’hui l’Ontario) et les États-Unis. Ces trois centres d’établissement se partagent également les nouveaux venus.
Immigration en provenance des îles Britanniques vers le port de Québec, 1815-1824
(D’après Adams, William Forbes, Ireland and Irish emigration to the New World from 1815 to the Famine, New Haven, Yale University Press, 1932, p. 421.)
Dans le Bas-Canada, et plus particulièrement dans les villes de Québec et de Montréal, l’afflux est important. La population de la ville de Québec croît rapidement : elle passe de 12 767 habitants en 1815 à 14 477 habitants en 1818, puis à 22 101 habitants en 1825.
Les campagnes ne sont pas en reste. Dans la région de Québec, de nouvelles zones de colonisation sont développées. L’ouverture du chemin Craig en 1810 incite des immigrants britanniques à s’établir dans la seigneurie de Beaurivage (Saint-Sylvestre, Saint-Gilles et Saint-Patrice) et les cantons environnants. Il en est de même dans le sud de la Beauce. Le chemin de Kennebec est ouvert en 1815 et des colons britanniques s’y installent à partir de 1825.
De nouveaux établissements au nord-ouest de Québec
Pour faire face à l’afflux massif d’immigrants, on crée aussi de nouveaux établissements dans l’arrière-pays au nord et à l’ouest de Québec, principalement le long de la rivière Jacques-Cartier et au lac Beauport :
La Chambre d’assemblée du Bas-Canada, l’ancêtre de l’Assemblée nationale du Québec, souhaite soutenir ce mouvement et faciliter l’établissement des nouveaux colons. En 1824, Richard Deloughry dresse un état des lieux : « Nouveaux établissemens du lac de Beauport, de Stoneham, Valcartier, St. Patrice et Portneuf. Tables statistiques », publié dans l’Appendice du XXXIIIe volume des Journaux de la Chambre d’assemblée de la province du Bas-Canada, Québec, Impr. du Roi, 1824, appendice R. En tout, 870 personnes y sont établies.
Le rapport mentionne le nom des immigrants, leur année d’établissement, l’état de leur famille, l’étendue des terres cultivées et un état détaillé des productions agricoles et du cheptel :
Une expérience de vie exigeante
En 1829, la Chambre d’assemblée du Bas-Canada entend les témoignages d’Elijah Heney, de Thomas McMullan, de Ferdinand Murphy, de Jean-Baptiste Noreau, de Patrick Scully et de Richard Ward. Ce sont des gens qui ont réussi, non sans difficulté, leur installation. Les témoignages sont extrêmement détaillés relativement à l’expérience de la colonisation. En voici deux extraits :
« Samedi, 7 mars 1829. M. Ferdinand Murphy, de Valcartier, ayant comparu, a dit : Je suis d’une province dans le sud de l’Irlande. J’arrivai dans ce pays, en octobre 1821, accompagné de ma soeur. La disette des temps, les fortes rentes des terres, les bas prix des produits qui causaient ma ruine, le mécontentement des esprits dans les différentes parties du pays, et les rapports favorables qui me furent faits du Canada, m’engagèrent avec ma soeur de venir tenter fortune dans cette partie éloignée de l’hémisphère. A notre arrivée ici, nous possédions à nous deux vingt et un chelins. Je restai en ville pendant qui’ze jours, sans gagner un sol: J’allai alors à Valcartier, tout-à fait dans le bois, à trois milles du premier établissement. J’avais fait l’entreprise de couper et d’abattre le bois sur cinq 5 arpens de terre, à raison de trois louis par arpent. On m’avança des provisions, des vêtemens et d’autres articles dont j’avais besoin, qui s’élevaient en tout à la moitié de la somme de l’entreprise. Je finis mon entreprise avant le printemps, et nettoyai la terre après que la neige eut disparu de dessus la terre, et je reçut la somme entière de quinze louis. Je subsistai entièrement sur cela pendant l’hiver, et il me revenait une balance au printemps. A mon arrivée dans le bois, je me bâtit une cabanne de pièces sur pièces d’environ 12 ou 14 pieds en quarré, assez haute pour qu’un homme pût s’y tenir debout, avec une ouverture pour la fumée; le plancher était de pièces fendues applanies, et je ménageai un endroit pour y placer le foyer. Comme il n’y avait pas de chemin, dans cette distance de trois milles, j’étais obligé, de porter mes provisions sur mon dos, quelques fois dans la neige par dessus la tête. Mes provisions se composaient principalement de biscuit, patates et lard, et quelques fois je me procurais du thé et du sucre. Arrivé au printemps, aussitôt la terre découverte, je semai environ 22 minots de patates, qui donnèrent dans l’automne, vingt-trois minots pour chaque minot de semence ; c’est une des meilleures récoltes que j’ai jamais eu. N’ayant point de famille à soutenir, pendant que mes patates étaient en terre, j’allai dans différentes parties du pays passer le temps parmi mes amis pendant environ deux mois : Je ne faisait aucune dépense parmi eux. Dans l’automne je revins faire ma récolte, et dans l’hiver je fis une entreprise de £100 à Saint-Giles que j’accomplis avec trois hommes. Je ne fis pas grand profit car il ne me resta que £8 quitte et net. Au printemps, je revins à Quebec, et j’obtins des religieuses de l’Hôtel-Dieu, un lot de 262 arpens de terre dans le fief Saint-Ignace sur la Rivière Jacques-Cartier : Je m’y rendis sur la fin de l’hiver suivant, j’y fis un abattis d’environ cinq arpens, que je nettoyai au printemps, et je semai 80 minots de patates, qui me rapportèrent plus de 600 minots. J’y avais aussi semé environ un minot d’avoine, qui fut en partie mangé par les écureuils, ce qui conséquemment me donna peu de chose. ’ai pr’s il y a deux ans, une autre terre dépendante des biens des Jésuites, qui a 90 arpens. J’ai à présent environ 56 arpens de terre que j’ai faite avec l’aide de journaliers que j’employais, lorsque j’avais de quoi les payer. »
2. Extrait du témoignage de Thomas McMullan :
« [Samedi 7 mars 1829.] Thomas McMullan, de Valcartier, ayant comparu, a dit : Je suis né dans le nord de l’Irlande, et je vins en Canada en 1821. Je vins dans ce pays d’après les rapports que ce pays-ci était superbe pour un homme de travail, et où il pouvait aisément gagner sa vie. J’entendis dire que les émigrés y fesaient bien, mais cependant je ne l’ai pas trouvé aussi favorable que je m’y attendais. A mon arrivée dans ce pays j’avais ma femme et quatre enfans; c’était en automne; l’aîné de mes enfans à maintenant quatorze ans, et le plus jeune trois ans; ils sont à présent au nombre de cinq. Je n’avais pas un chelin à moi lors de mon arrivée. Je vendis quelques outils de menuisier que j’avais pour me procurer de la nourriture pendant la première semaine de mon arrivée. Je m’employai alors à scier du bois en ville, à raison de deux chelins la corde, cela dura environ trois semaines, je ne pus gagner que deux chelins par jour à cet ouvrage. Je m’engageai alors pour faire de la terre neuve à Valcartier, pour Mr. Stuart ; on m’allouait £30 pour faire dix arpens, J’arrivai à Valcartier vers Novembre. J’y ai toujours resté depuis. J’abattis douze arpens pendant cet hiver là, et je fus payé sur le pied que je viens de mentionner. Je n’avais rien autre chose pour soutenir ma famille, excepté dix ou douze jours d’ouvrage, que je me procurai de quelques individus de Valcartier, à raison d’un chelin et demi par jour. Je me rendis au beau milieu du bois, dans la sixème concession de Valcartier, où aussitôt après mon arrivée je coupai des pièces et me fit une petite maison, de douze pieds sur quatorze, et de cinq pieds de hauteur ; je la couvrit en bardeaux, et pratiquai une ouverture à un bout pour laisser passer la fumée, et je fis un plancher avec des pièces, laissant un endroit où nous allumions le feu. Je me trouvais à deux miles et demi du voisin le plus proche, et dans toute cette distance il n’y avait qu’un petit sentier, et je portais mes provisions sur mon dos par ce chemin, où j’avais quelques fois de la neige à mi-corps ; mes provisions consistaient en patates et farine. »
Remerciements
Nous tenons à remercier Hélène Duval, qui a informatisé bénévolement les données.
Bibliographie
Genealogies of Valcartier, Quebec. Also Riviere aux Pins, Stoneham, Shannon and Ste-Catherine-de-la-Jacques-Cartier, site créé par madame Patricia Balkcom, Montpelier, Vermont.
Cowan, Helen I., L’immigration britannique avant la Confédération, Ottawa, Société historique du Canada, « Brochure historique », 1975.
Vallières, Marc, Histoire de Québec et de sa région, Québec, Presses de l’Université Laval, 2008, 3 vol.