En 1890, le gouvernement d'Honoré Mercier observant «qu'il convient, à l'exemple de tous les siècles, de donner des marques de considération à la fécondité du lien sacré du mariage», fait voter une loi intitulée «Acte portant privilège aux pères ou mères de famille ayant douze enfants vivants» (53 Vict., chap. 26). Cette loi accorde gratuitement cent acres de terres publiques aux parents de douze enfants vivants, nés en légitime mariage. Cette mesure n'est pas sans rappeler les dispositions prises au 17e siècle par Louis XIV pour encourager la natalité au Canada. En effet, à cette époque, les habitants qui avaient «jusqu'au nombre de dix enfants vivants, nés en légitime mariage, non-prêtres, religieux ni religieuse» pouvaient recevoir une pension annuelle de 300 livres. Cette pension était portée à 400 livres si le nombre d'enfants atteignait douze.
Pour se prévaloir des dispositions de la loi de 1890, tout père ou mère de famille éligible doit présenter une requête au secrétaire de la province, accompagnée de son acte de mariage, d'un extrait de naissance de chacun de ses enfants ainsi que d'un certificat devant un juge de paix, constatant le nombre de ses enfants et leurs noms.
Après examen de la requête et des certificats, le secrétaire de la province fait rapport au lieutenant-gouverneur en conseil. Si ce dernier acquiesce à la demande, un arrêté est passé à cet effet et une copie en est transmise au commissaire des terres de la Couronne qui est alors chargé de concéder au requérant les cent acres qu'il a choisis.
Le 30 décembre 1890 (54 Vict., chap. 19), le législateur change certaines dispositions. Ainsi, le ministre du culte de l'endroit où réside le requérant doit fournir un certificat attestant de l'exactitude des faits allégués par ce dernier. De plus, l'acte de naissance de chacun des enfants n'est plus requis et la requête est désormais adressée au commissaire de l'Agriculture et de la Colonisation.
En 1892, on précise que les cent acres de terre doivent être choisis parmi les terres publiques propres à la culture, en vente et disponibles au moment du choix, dans le canton, la paroisse ou le territoire non organisé où le requérant demeure ou, sinon, dans celui le plus rapproché de son domicile (55-56 Vict., chap. 19). En 1895, un amendement à «La loi des douze enfants» indique que les terres seront concédées par billet de location aux conditions d'établissement usuelles. À partir de juin 1904, les personnes ayant droit à une terre peuvent obtenir à la place une prime de 50,00 $. Enfin, en mai 1905, une nouvelle loi abolit les concessions de terre et les primes aux famille de douze enfants et plus (5 Ed. VII, chap.16) mettant ainsi fin à ce programme d'aide gouvernementale.
Entre 1890 et 1905, des 5 413 familles officiellement reconnues, 4 977 recevront un lot ou une prime en vertu de cette loi. Malgré certains problèmes d'application, cette loi a particulièrement profité à ceux qui n'étaient pas propriétaires de leur terre, c'est-à-dire les porteurs de billet de location et les squatters à qui on ne pouvait refuser de leur accorder la terre qu'ils occupaient déjà.
Les dossiers des requérants sont conservés au Centre de Québec de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, dans le fonds du ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec (E9,S101,SS4, contenants 1984-11-011/139 à 198) et ils représentent 13,2 mètres de documents textuels couvrant la période 1890-1905. L'ensemble de cette documentation offre aux chercheurs, et en particulier aux généalogistes, des informations sur des familles provenant de toutes les régions du Québec. Les comtés de Beauce, de Témiscouata, de Rimouski et d'Ottawa fournissent le plus grand nombre de requérants.
À titre d'exemple, le dossier 1779 concernant Jean Bruneau illustre bien l'intérêt de cette série documentaire. En 1894, Jean Bruneau, cultivateur de Saint-Malachie, est père de dix-neuf enfants vivants et il entend se prévaloir de la nouvelle loi qui accorde gratuitement une terre de cent acres aux parents de douze enfants vivants. Il présente donc une requête accompagnée des documents requis. Ainsi, nous retrouvons dans son dossier ses actes de mariage, lesquels mentionnent qu'il a d'abord épousé, le 21 août 1855, Lina Blais, puis s'est remarié à Angèle Landry, en août 1867. Cette dernière lui donnera quinze enfants qui viendront s'ajouter aux huit enfants nés de son premier mariage. Le dossier comprend aussi le formulaire A, signé par le juge de paix le 20 septembre 1894, contenant une déclaration sous serment qui énumère les dix-sept enfants vivants. Les attestations des curés de Sainte-Claire et de Saint-Malachie mentionnant le nom et la date de naissance de douze enfants selon les registres paroissiaux font aussi partie du dossier.
Par ailleurs, d'autres séries documentaires permettront aux chercheurs de retracer les lettres patentes émises par la suite. Mentionnons, par exemple, les registres conservés dans le fonds du ministère des Terres et Forêts donnant une liste en ordre numérique des octrois gratuits en vertu de cette législation (E21,S64,SS10,SSS3, contenants 1984-10-010/374 à 378) et les lettres patentes des terres accordées que l'on retrouve dans le fonds du Secrétariat provincial (E4, contenants 1960-01-004/585, 587 à 590, 595 et 596, 613, 646). Ainsi, l'index nominal des lettres patentes accordées entre 1867 et 1960 (Microfilms M.15/67 à 78) signale la présence d'une terre de cent acres représentant la moitié sud-est du lot numéro 28 dans le sixième rang du canton de Buckland, officiellement attribuée à Jean Bruneau, le 21 décembre 1894. La jouissance et l'usufruit de ces cent acres de terre appartiennent, selon la loi, au père ou à la mère des douze enfants, leur vie durant, et ils peuvent la transmettre par donation entre vifs ou testamentaire à l'un de leurs enfants. Dans le cas où aucune donation n'est prévue, la propriété tombe dans la succession.
Des listes de requérants ont aussi été publiées au début du 20e siècle. L'Index alphabétique des Noms de 3400 Familles de douze enfants vivants, compilé par A. Dumais et édité par le Département des Terres, Mines et Pêcheries, couvre la période de mai 1891 à mars 1904. Cet index indique le nom des parents, le lieu de résidence, le nom du comté, le nombre d'enfants nés et celui des enfants vivants, le nombre de garçons et de filles ainsi que le numéro de dossier. Le Tableau des familles de douze enfants du premier avril 1904 au premier juillet 1905 contient le même genre d'informations sur 2018 familles et complète le premier ouvrage.
Signalons enfin que Raymond Gingras a publié en 1980 un Index des familles de douze enfants, 1891-1904; 1904-1905, une compilation en deux volumes des demandes de terres gratuites en fonction du nom de famille de chacun des conjoints et en fonction du lieu de résidence des requérants. De ce fait, il mettait en valeur non seulement le chef de famille mais également les femmes qui ont porté les enfants.La présente banque de données a d'abord été constituée à partir des publications précédentes, puis complétée et corrigée à l'aide des registres et des dossiers originaux. Le chercheur pourra faire sa recherche en fonction des noms et prénoms, des lieux de résidence des familles ou des cantons où se trouvent les terres octroyées.
En terminant, nous tenons à signaler l'importante contribution à la réalisation de cette banque de données de Madame Mélanie Yanch qui, pendant son séjour au Centre de Québec de Bibliothèque et Archives nationales du Québec comme étudiante, a saisi les données avec précision. Son travail a été complété par une autre étudiante, Madame Geneviève Jolicœur, qui a intégré dans la base de données les informations relatives aux récompenses attribuées et a confronté les données en provenance des publications à celles des registres. Enfin, mentionnons l'apport de Madame Cécile Labrie, du Centre de Québec de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, qui a participé au processus de vérification finale.
Renée Lachance et Rénald Lessard
Centre de Québec de Bibliothèque et Archives nationales du Québec