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Recherche avancée - Certificats du Canada et billets de l'Acadie, 1750-1760 (Août 2019)

Présentation

 

Certificats du Canada et billets de l’Acadie :

Français, Canadiens, Acadiens et Autochtones au service du roi, 1750-1760

Aux Archives nationales de France (AN), on trouve une source inédite touchant le Canada et l’Acadie dans les dix dernières années de la Nouvelle-France. Elle permet de retracer les achats de biens et services faits par l’État, surtout dans les régions excentrées de l’Acadie et des Grands Lacs. Les faits et gestes quotidiens de milliers de personnes sont ainsi consignés sur des certificats attestant des transactions effectuées. Dans des endroits où peu d’archives ont été conservées, ces éléments de la micro histoire prennent une valeur exceptionnelle.

Acheter des biens et services au nom du roi

En Nouvelle-France, compte tenu des distances importantes entre les différents postes, les représentants du gouverneur et de l’intendant font face à d’importants problèmes de logistique. Construire des fortifications, approvisionner les gens à la charge du roi, incluant les réfugiés acadiens, les militaires et des alliés amérindiens, transporter d’un lieu à l’autre dépêches, ordres, hommes ou biens, bref, établir l’autorité française sur des bases solides exige des ressources humaines et matérielles importantes. Les commandants des postes, assistés par des garde-magasins et des employés subalternes, veillent à la gestion des approvisionnements et au règlement des dépenses. L’achat de biens et services sur place est important et, pour couvrir les coûts, les autorités ont recours à des certificats attestant de la fourniture d’un bien ou d’un service. Ces certificats sont par la suite remboursés en monnaie de carte puis, à partir de 1751, en billets d’ordonnance – la version imprimée de la monnaie de carte. La monnaie de carte ou les billets d’ordonnance peuvent par la suite circuler dans la colonie comme numéraire ou être convertis en lettres de change tirées par les trésoriers généraux de la Marine. Charles Deschamps de Boishébert définit ainsi le fonctionnement de ce système :

La monnoie courante en Canada étoient les certificats & les billets d’ordonnance. Ils avoient les uns & les autres le même cours que l’argent; avec cette différence, que les certificats venoient, à Québec & à Mont-Réal, se changer en billets d’ordonnance, qu’on délivroit au tréfor pour l’acquit des certificats : ainsi le certificat représentoit le billet d’ordonnance; & ce dernier étoit la monnoie proprement dite, autorisée du prince, au défaut des espèces qui étoient en très-petite quantité dans la Colonie. Les certificats étoient délivrés dans les forts, pour attester la quantité, la nature & la qualité des marchandises & denrées fournies, ou des travaux faits pour le compte du Roi. Ils énonçoient une valeur proportionnée aux objets pour lesquels ils étoient délivré : ainsi il y en avoit de tout prix. Quand l’officier, le traiteur, le soldat, le journalier même étoient munis de ces certificats, ils étoient quelquefois à deux, trois, quatre, cinq ou six cent lieues de Mont-Réal ou de Québec. Souvent leurs devoirs & leurs emplois les en tenoient éloignés des années entières : il falloit donc que les certificats circulassent de main en main comme des espèces, avant même qu’ils fussent commués en billets d’ordonnances. Cette circulation les amenoit successivement à Mont-Real ou à Québec, les uns plutôt, les autres plus tard. Là, ils étoient portés aux trésoriers, qui les payoient en billets d’ordonnance, en dressoient des bordereaux à mesure qu’ils les acquittoient, les remettoient ensuite dans les bureaux du contrôle pour en avoir les décharges en forme. Lorsqu’on envoyoit des forts & postes les états de la dépense totale de chaque année, ils étoient vérifiés sur le bordereau des certificats déjà payés dans les bureaux des trésoriers1.

En 1749, la question de la frontière entre le Canada et l’Acadie sous contrôle britannique n’est pas réglée. Les autorités canadiennes décident alors de la fixer unilatéralement à la rivière Mésagouèche et d’établir une nouvelle Acadie française, relevant de Québec, sur le territoire actuel du Nouveau-Brunswick. L’intendant Bigot souhaite que les certificats servent de monnaie et, pour inciter les habitants à les faire circuler dans la nouvelle colonie et à ne pas les échanger à Québec, il leur donne un cours différent de celui du reste de la Nouvelle-France. « C’est ce qu’on appelloit, les Billets de l’Acadie2. » On leur enlève 2/7 de leur valeur s’ils sont échangés à Québec. Ainsi, un certificat de 140 livres est remboursé à 100 livres à Québec.

Liquider les certificats du Canada et les billets de l’Acadie

Lors du processus de liquidation des papiers du Canada, qui incluaient les certificats du Canada et les billets de l’Acadie, les demandes de remboursement des certificats en circulation ont donné lieu à la production de bordereaux. L’arrêt du Conseil d’État du roi du 29 juin 1764 en précise la teneur :

« VIII. Les Porteurs de papiers de Canada, soit Propriétaires, Dépositaires volontaires ou judiciaires, ou Commissionnaires, les remettront, avec des déclarations qui en ont été faites, au sieur de la Rochette, que Sa majesté a commis & préposé pour la présente liquidation, lequel leur en fournira un reçu, & en dressera pour chaque partie un bordereau où seront rapportés & distingués sommairement lesdits effets suivant leur nature, & la réduction y sera par lui opérée, conformément aux dispositions précédentes. Ledit sieur de la Rochette arrêtera & signera lesdits bordereaux, qui seront ensuite remis au sieur Blot, que Sa Majesté a commis pour les enregistrer & contrôler3. »

Aux Archives nationales de France (Sections anciennes, V7, 346), on trouve 138 bordereaux liés à autant de déclarations, qui représentent plus de 1 250 pages de documentation et décrivent 8 296 certificats produits sur tout le territoire du Canada4. Quelque 54 % des certificats, répartis dans 65 bordereaux, contiennent en totalité ou en partie des références relatives à 4 502 certificats émis dans la nouvelle Acadie française entre 1750 et 17605.

AnnéeAcadieCanada (Vallée du Saint-Laurent)Grands Lacs et Vallée de l'OhioLieu inconnuTotal   
1740  1 1
1748  1 1
1749 1  1
17501   1
1751111  12
1752721  73
1753249   249
17542321 28 2349
17551614  165
17562091771234
1757242225491517
175868150216211346
1759403422935211781
1760127405915101457
1761 6  6
1762    0
176311  2
176411  2
17651   1
1766 21 3
sans date221161195
Total450215992160358296

Les postes de Détroit et de la vallée de l’Ohio sont bien représentés, avec 26 % des pièces. Alors qu’en Acadie le nombre de documents culmine en 1754, les certificats de cette région ont surtout été émis en 1759-1760.

Chaque bordereau contient la description de chacun des certificats concernés. Puisque les certificats originaux ont été détruits, il ne nous reste que ces résumés. Dans la majorité des cas, l’essentiel des informations a été conservé. Parfois, les rédacteurs des bordereaux ont résumé certains détails. L’expression « pour plusieurs fournitures et Voyages y énoncés » et d’autres similaires reviennent quelques fois.

Les commissaires chargés d’analyser les réclamations vont rejeter des quantités importantes de certificats : le quart d’entre eux seront refusés. C’est qu’il n’y a pas de place pour la compassion et que la rigueur règne6. Les motifs de refus sont variés : les documents sont parfois déchirés, recollés, recousus, indéchiffrables, taxés arbitrairement après coup, pas assez détaillés ou signés par des gens non qualifiés pour le faire. De plus, certaines dépenses sont imputables au munitionnaire général et non au roi. En effet, depuis le marché des vivres du 26 octobre 1756 entre l’État et Joseph Cadet, ce dernier est devenu le munitionnaire général chargé d’approvisionner les différents postes. À partir du 1er juillet 1757, ce marché devient effectif dans les Grands Lacs, les forts du Richelieu et du lac Champlain, et les postes de Gaspé et de Miramichi. Les billets et certificats en lien avec le munitionnaire seront refusés par l’État lors de l’opération de liquidation, et leur remboursement sera imputable à Cadet.

Les détenteurs de certificats peuvent perdre énormément d’argent. Les travaux des commissaires ont lieu en 1767 et 1768, soit, dans certains cas, plus de 15 ans après l’émission du certificat, lequel peut avoir passé de main en main et s’être promené d’une colonie à une autre, d’un continent à un autre. Le mauvais état de certains documents peut donc s’expliquer. Les lacunes dans la rédaction imputables à un garde-magasin débordé ou incompétent, ou encore l’absence d’un visa fourni par un officier qualifié sont aussi la cause de nombreux rejets. Un exemple : le négociant Arsenaux de la Nouvelle-Écosse réclame 17 964 livres, 16 sols et 8 deniers pour le remboursement de 123 certificats. Trente-trois d’entre eux, valant 6 293 livres et 4 sols, seront rejetés. À cela s’ajoute la dévaluation de 2/7 applicable aux billets de l’Acadie. La créance sera donc réduite et liquidée à 8 194 livres et 6 deniers.

Les billets de l’Acadie sont traités différemment, lors de leur liquidation, de ceux provenant d’ailleurs au Canada. L’arrêt du Conseil d’État du roi du 15 décembre 1764 décrète en effet ceci : « Article V. Les pièces connues sous le nom de Billets de l’Acadie, devant, suivant l’usage constamment suivi en Canada, subir une diminution de deux septièmes avant d’être assimilés aux autres titres de dépenses du Canada, Sa Majesté ordonne en conséquence, que ladite diminution de deux septièmes sera faite sur le montant comprises dans la première ou seconde classe de la présente liquidation7. »

Les détenteurs de billets de l’Acadie et de certificats, au moment de la liquidation de ces documents, viennent d’horizons variés. Ce sont généralement des marchands de Québec et de Londres qui ont racheté les certificats, souvent à vil prix. On trouve plusieurs mentions de rachat à des pourcentages aussi bas que 5 %, souvent aux alentours de 15 %. Rares sont les détenteurs initiaux de ces papiers qui en font la réclamation.

Les billets de l’Acadie : un regard de l’intérieur sur la vie dans la nouvelle Acadie française

Les 4 502 certificats touchant la nouvelle Acadie française et décrits dans les déclarations permettent de suivre l’évolution de la nouvelle Acadie française au cours de deux périodes distinctes : l’affirmation française sur le territoire du futur Nouveau-Brunswick (1750-1755) et la période de résistance qui suit la prise des forts Beauséjour et Gaspareaux lors de la capitulation de Montréal (1755-1760). Ces documents sont certes de l’ordre de la micro histoire, mais, compte tenu du peu d’archives qui sont parvenues jusqu’à nous, surtout au regard des actions des gens ordinaires, ils nous ouvrent des horizons nouveaux et sont des plus utiles pour connaître l’histoire des familles, surtout dans cette période troublée. Sur dix ans, plusieurs milliers d’individus, certains bien identifiés, apparaissent dans ces archives, témoignant d’une volonté de survivre, de s’organiser et de s’adapter constamment. On en apprend aussi sur la présence des représentants du gouverneur, leurs actions, les efforts pour aider les réfugiés acadiens et préserver le contrôle de la France sur le territoire jusqu’à la capitulation de Montréal, le 8 septembre 1760, et celle de Ristigouche, à la fin du mois d’octobre suivant.

Ce que l’on voit, ce n’est pas un abandon de cette région par la France. La réalité décrite par les billets de l’Acadie montre des liens entre les différents groupes d’Acadiens, les efforts pour secourir les démunis et une volonté de résister aux forces britanniques8. Frontière du Canada, cette Acadie française se défend avec les moyens disponibles. Les Acadiens, les Canadiens, les Français et les Autochtones présents sur les lieux fournissent hommes et matériaux, et travaillent sous la direction des commandants et des missionnaires à assurer une forme d’organisation sociale qui permette d’offrir des secours et des services aux plus miséreux. Des secours arrivent de Québec au gré des hasards du climat ou des disponibilités. À partir de 1757, Joseph Cadet, munitionnaire général du Canada, est chargé de l’envoi des vivres. Les certificats témoignent de l’arrivée de ses navires.

Les certificats du Canada

Les certificats touchant le Canada et les Grands Lacs sont surtout rédigés à la fin de la guerre de la Conquête. Ils abordent autant les fortifications de Détroit que les convois de vivres des Illinois approvisionnant Détroit et la vallée de l’Ohio, les achats et les réquisitions de chevaux et de fourrage pour la cavalerie, et le transport des individus et des marchandises. La guerre vécue par le peuple est au cœur des documents. C’est particulièrement vrai pour la région de Portneuf, véritable frontière de la Nouvelle-France en 1759-1760 : achats et réquisitions, corvées de construction de fortifications, transport d’individus et de marchandises. Bref, les certificats permettent de se placer au niveau des individus et de saisir les efforts qu’on a exigés d’eux.

Certificat en faveur de Jean Groleau, 30 mars 1760 (BAnQ Québec, P1000,S3,D904)

La base de données

Les 1 250 pages de documents originaux repérées aux Archives nationales de France (AN) (Sections anciennes, V7, 346) par Rénald Lessard en 2010 ont été entièrement photographiées par ce dernier en 2012. Francine Leclerc, Ronnie-Gilles LeBlanc et Rénald Lessard ont ensuite patiemment transcrit le contenu des documents dans un fichier Excel en suivant l’orthographe originale. Pour faciliter la lecture et le repérage, on retrouve entre crochets le mot au long correspondant à une abréviation ou précisant un élément qui se trouve dans les certificats qui précèdent. Par exemple :

« Autre de celui de Beauséjour de 41 tt 4 s. dus à la Salle Boucher pour 103 L de boeuf frais fourni pour la Table du Commandant à 8 s. la L la dite Somme reduite net à 29 tt 8 s. 7 d. … 41 livres, 4 sols » est devenu : « Autre [Certificat] de celui [garde-magasin] de Beauséjour de 41 tt 4 s. dus à la Salle Boucher pour 103 L [livres] de boeuf frais fourni pour la Table du Commandant à 8 s. la L [livre] la dite Somme reduite net à 29 tt 8 s. 7 d. … 41 livres, 4 sols »;

Et « Autre id. de 96 tt à Prudent Robichaux pour une Vache à 40 tt et un Bouvard a 56 tt fournis comme dessus … 96 livres » est devenu : « Autre id. [Certificat de l’officier Commandant à la Rivière St-Jean] de 96 tt à Prudent Robichaux pour une Vache à 40 tt et un Bouvard a 56 tt fournis comme dessus [fournis aux Sauvages d’hocpak] … 96 livres ».

Chaque certificat devient ainsi autonome par rapport à ceux qui le précèdent, et peut être facilement interrogé dans une base de données.

La date des documents doit être utilisée avec précaution. Elle correspond à la signature du document par les autorités et non à la date de la transaction. Dans certains cas, des semaines peuvent s’écouler entre les deux.

Les 8 296 certificats du Canada et billets de l’Acadie ont été regroupés dans 6 854 entrées. Les multiples fournitures de bois en Acadie ont fait l’objet d’une saisie unique lorsque la date, le fournisseur et le montant étaient similaires et qu’ils se trouvaient à la même page et dans le même bordereau. Une mention entre parenthèses signale la présence de plusieurs lignes identiques : « (4 lignes identiques) Autre id. [Certificat d’un Officier Commandant aux Cotes de l’Acadie visé de M. De Boishébert de la Somme de] 20 tt [due à Pierre Sir et associés pour acompte d’une fourniture de bois de chauffage] … 20 livres ».

L’indexation des thèmes (objet, sous-objet, sujet, vivres, moyens de transport) par Francine Leclerc permet une recherche élargie, qui déborde le cadre d’une recherche strictement nominative. L’identification des lieux et des régions concernés permet l’uniformisation des toponymes et offre aussi plusieurs possibilités de recherche.

Le lieu précis de l’achat des biens et services n’est pas toujours évident. Le garde-magasin de Détroit peut par exemple autoriser des transactions effectuées à l’extérieur de Détroit. Il en est de même des autres garde-magasins. Il faut donc être très prudent avant de conclure qu’un individu se trouve à un endroit donné.

Remerciements

Le projet de mise en ligne des billets de l’Acadie et des certificats du Canada résulte d’un effort conjoint des bénévoles Francine Leclerc (généalogiste s’intéressant à la famille Leblanc, passionnée par l’histoire de ses ancêtres acadiens) et Ronnie-Gilles LeBlanc (ancien archiviste au Centre d’études acadiennes Anselme-Chiasson, à Moncton, et historien retraité de Parcs Canada) ainsi que de l’archiviste-coordonnateur Rénald Lessard (BAnQ Québec).

De gauche à droite : M. Ronnie-Gilles LeBlanc, Mme Francine Leclerc et M. Rénald Lessard